La surélévation des Docks de Strasbourg illustre superbement l'atout de l'acier sur le terrain de la densification.
Densification : Quelle place pour l’acier ?
C’est une thématique aussi porteuse qu’incertaine. La densification urbaine qui par nature définie la ville par rapport à la campagne est un mouvement qui semble impossible à freiner. La croissance et le vieillissement de la population, la nécessité de ralentir l’étalement urbain pour lutter contre l’artificialisation des sols, l’optimisation des services et la réduction des dépenses publiques… sont autant d’arguments qui poussent dans ce sens. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Alice Delaleu, journaliste de Chroniques d’Architecture, rappelle que « sous Napoléon III, le Baron Haussmann voyait la densité de la vieille ville (2.7 de densité) comme facteur d’insalubrité avec ses ruelles étroites et mal ventilées. La création de larges avenues, d’espaces verts et surtout d’un réseau d’égouts a permis la circulation d’air, d’eau et de lumière ». Le moins que l’on puisse dire est que l’approche Haussmannienne, près d’un siècle et demi plus tard, « fonctionne » toujours bien. Mais la forte demande en logements conjuguée à la métropolisation, font que cet urbanisme classique, bien qu’encore parfaitement adapté, est amené à devoir être transformé. L’idée de construire sur la ville a pris le dessus sur les principes et les règlements de la construction qui ont régi des villes comme Paris durant des décennies. L’abrogation du COS (coefficient d’occupation des sols) et les réformes des PLU (plan local d’urbanisme) sont passées par là. Mais également la Loi Alur (Accès au logement et urbanisme rénové), qui non seulement autorise mais encourage la densification même si, pour ne prendre l’exemple que de la capitale, la ville est déjà à un niveau élevé de densité. Le besoin en logement n’est pas la seule raison qui guide la démarche. Il y a une explication économique, une logique de marché. Avec un prix du m2 qui va de 5 000 à 15 000 euros entre la proche banlieue et le centre de Paris, il devient extrêmement rentable de « créer de la densité »… Le projet de Grand Paris Express, ce réseau de transport public constitué entre autres de quatre lignes de métro automatique en grande banlieue fera logiquement grimper la valeur de chaque m2 construit à l’intérieur de ce territoire. Il s’agirait de réduire le recours aux véhicules individuels et donc d’agir pour l’environnement. Cette métropolisation devra aussi permettre d’optimiser l’accès aux services publics (écoles, hôpitaux, administrations…) et par la même occasion de réduire les déperditions en tout genre (énergie, temps, déplacements…). L’argument écologique doit cependant être utilisé avec mesure. Dans le cas de l’Île-de-France, par exemple, il n’y a pas d’états d’âme des pouvoirs publics et des aménageurs à transformer les terres agricoles du bassin parisien en ZAC ou à raser des forêts pour y installer des gares et des lignes de chemin de fer.
© Danist Soh /© Lacaton-Vassal
Pour la tour Bois-le-Prêtre, les architectes ont proposé une augmentation de la surface par la création de terrasses et des jardins d'hiver.
Ménager la qualité de vie
Pour autant, la densification n’a de sens que si elle sert la qualité d’habitation, voire la qualité de vie. Les villes tentaculaires que l’on a vu surgir en Chine ces trente dernières années ne sont pas un modèle de réussite bien qu’elles soient extrêmement denses. Les distances entre lieux de vie et de travail ne peuvent pas être continuellement rallongées. Quand des quartiers sont transformés en bureaux ou, au contraire, en zone uniquement dédiée aux logements, la qualité de vie s’y dégrade inexorablement. Aussi la mixité d’activités devrait en toute logique (et dans un monde idéal) être accompagnée d’une mixité sociale… Le sujet devient politique et donc délicat à délimiter. Il en va de même des zones pavillonnaires périurbaines. Elles sont pointées du doigt comme « le mal absolu » par les promoteurs de l’hyperdensification. Les pressions sont considérables sur les élus qui rechignent à faire tabula rasa d’une part souvent importante de leur tissu urbain et de l’identité de leur commune. Cela alors que le modèle pavillonnaire pourrait, avec une transformation douce, une densification point par point, devenir un terrain d’exploration passionnant tout en conservant une part de la ceinture végétale des villes qui contribue au maintien de la biodiversité et au bien-être des urbains.
Profiter du béton existant
Si la construction béton prend la quasi-totalité des marchés en construction neuve, l’acier et le CLT (bois lamellé croisé) sont les matériaux de prédilection pour la densification sur l’existant. Pascal Bonaud, délégué général de ConstruirAcier fait un rappel utile : « La densification peut se faire par le haut, par le bas et latéralement. On peut aussi imaginer créer des arcades sur rue comme dans les villes anciennes en Italie, mais ça soulève des questions administratives puisqu’on empiète sur l’espace public ». Latéralement cela signifie de créer des balcons, des porte-à-faux avec des terrasses, par exemple. C’est ce qui a été réalisé comme transformation sur la Tour Bois-le-Prêtre dans le 17e arrondissement de Paris. Cet édifice en béton de seize étages datant des années soixante a été rénové et enrichi de balcons et de jardins d’hiver augmentant non seulement les performances thermiques et la surface mais surtout la qualité de vie, le « plaisir d’habiter », comme aiment à le dire les architectes de l’agence Lacaton-Vassal. Plutôt que de prôner la destruction de l’existant, ces architectes ont montré qu’il était possible de créer des logements parfaitement adaptés aux besoins contemporains, « faire plus et mieux » comme l’annonce Jean-Philippe Vassal. Même un féru de béton comme l’architecte Rudy Ricciotti, auteur du Mucem, défend l’idée qu’il faille conserver l’ossature existante des immeubles et y greffer les extensions. Enrichir le parc construit plutôt que de dépenser des milliards d’euros pour sa destruction et pour finalement reconstruire avec peu de moyens des logements ayant une durabilité faible. Autre terrain d’exploration intéressant : les parkings sous-terrain, là encore en béton. Dans la perspective d’une réduction sensible du nombre des voitures individuelles en ville, Pascal Bonaud imagine une multitude d’utilisations pour ces espaces. « Les emplacements pourraient devenir des zones de stockage de matériaux pour des artisans, des ateliers de fabrication, voire des salles de réanimation pour des hôpitaux qui manquent de place ». Extensions, surélévations, greffons, balcons, serres extérieures ou intérieures… les terrains d’expression ne manquent pas pour le matériau acier.
© Etanchéité Info
L'utilisation des toits pour y installer des serres et des jardins tend à se développer.
Panne de soutien pour l’acier ?
L’acier se prête idéalement à la surélévation comme à l’extension avec un important porte-à-faux quand la situation le permet. Pour autant, dans les villes où la circulation devient difficile et les mises en chantier extrêmement contraignantes, la filière bois avance un argument de taille : la préfabrication. « L’acier c’est un Mecano à monter sur place, rappelle Pascal Bonaud. Or la diminution des coûts passe par la réduction des délais de chantier ». Aux USA, où la construction acier est dominante dans les IGH, des immeubles sont montés ou démontés quasiment tous les jours avec une grande facilité. Le savoir-faire et l’expérience sont là. En France la situation est bien différente. Il lui manque notamment la motivation des entreprises de construction métallique pour venir dans les hypercentres.
"Les architectes ont une vraie appétence pour le sujet"
Stéphane Herbin, directeur technique et innovation chez UpFactor.
Métal Flash : Comment expliquer la place modeste du métal dans la densification ?
Stéphane Herbin : Les raisons sont diverses. Il y a une part qui incombe à la méconnaissance des systèmes de construction métallique par les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre. Aussi, ces opérations sont souvent de taille modeste donc les moyens en études sont souvent moins importants. De plus, pour parvenir à un résultat fiable et performant avec une ossature métallique il faut pouvoir présenter une solution en mixité de matériaux, en bois et en CLT notamment. Or, souvent les référentiels qui servent à encadrer ces chantiers de surélévation ne sont pas raccord avec la multiplicité des matériaux mis en œuvre. C’est une démarche monomatériau à l’image des Eurocodes, par exemple. C’est donc une démarche plus complexe qui impose davantage de conception et parfois des dépôts d’Atex.
M F : D’où la part importante de chantiers béton en centre-ville…
S H : Ce sont des systèmes connus et les opérateurs qui ont fait de nombreux chantiers maîtrisent les procédures, les coûts et les délais. C’est moins « l’aventure » qu’avec le bois et l’acier, malgré l’impact plus important du matériau béton.
M F : Quel est le regard des architectes sur les projets surélévations ?
S H : Ils sont, demandeurs, il y a une vraie appétence de leur part, surtout pour les plus jeunes d’entre eux. Près de 53 % du marché de la construction incombe à la réhabilitation-rénovation. Nous sommes en plein dans la démarche de préservation des ressources et du zéro artificialisation des sols avec en plus la possibilité d’un autofinancement. Une surélévation peut permettre de financer la réhabilitation complète d’un bâtiment. L’enjeu est donc fort, l’engagement politique est déterminé et le cadre législatif est favorable aussi.
M F : Les charpentiers métalliques, ne sont-ils pas les premiers à freiner ?
S H : En effet, la plupart des charpentiers métalliques ne sont pas enclins à faire des surélévations en ville. En dehors de quelques spécialistes comme Les Charpentiers de Paris ou CCS International qui sont à l’aise sur le sujet. La majorité d’entre eux préfère faire un bâtiment neuf dans une ZAC. L’intervention sur l’existant suppose que l’on dialogue et que l’on se cale avec d’autres entreprises, que l’on s’intéresse aux interfaces avec d’autres lots. Tout le monde n’est pas préparé pour ce type de démarche
MF : Quel est le métier d’Upfactor ?
S H : Il s’agit d’un cabinet conseil « détecteur de potentiel » créé il y a quatre ans. Nous avons développé un outil en interne permettant de mesurer le potentiel d’un projet de surélévation urbaine. Nous savons réaliser une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage et faire les études. Aussi nous savons trouver les partenaires pour réaliser les projets. Nos architectes en interne peuvent déposer les permis de construire. Les clients sont les promoteurs, des bailleurs sociaux, les foncières gestionnaires de parcs, les copropriétés… La rémunération se fait sur la création de valeur.
www.upfactor.fr
Un guide de la surélévation
Ce document édité par le CTICM en juin dernier arrive à point pour informer aussi bien les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre que les chefs d’entreprise. La faiblesse des surélévations en acier en France tient assurément au manque d’information. Y sont développés les arguments en faveur de la surélévation, l’historique, le contexte réglementaire et les solutions techniques disponibles. Le guide offre aussi un regard intéressant sur plusieurs d’opérations récentes.
www.cticm.com
Une tour montée à Monaco
Carmelha est une tour de logement de 27 m de haut ayant été construite à Monaco selon le procédé Upbrella de construction sans grue. Cette technologie développée au Québec consiste à installer le toit dès le début et de le soulever étage par étage pour protéger et industrialiser la construction. Un monte-charge et un mur de protection muni d’une passerelle périphérique complètent la solution et permettent aux ouvriers de construire l’enveloppe de bâtiment avant chaque levée, sans jamais être exposés aux intempéries. Ce chantier a été porté par le groupement d’entreprises FH Métal travaillant l’acier dont fait partie Fer Met Alu. Selon la métallerie basée à L’Hermitage (35) « la tour Carmelha répond à des exigences environnementales fortes ».