Changer pour attirer

Le cadre reste difficile à délimiter. Où commence et où s’arrête le périmètre de la QVT, la qualité de vie au travail ? D’aucuns parlent de confort, de bien-être et même de bonheur au travail… Qu’est-ce qui fait que l’on se sente plutôt bien ou plutôt mal dans son travail ? Il y a nécessairement une multitude d’explications et de facteurs à prendre en considération. Ils peuvent être objectifs ou subjectifs, mais ils ne font pas unanimité… Selon que l’on se place du côté employeur ou salarié, la perception n’est déjà pas la même. À l’heure où la société française s’embrase autour de l’âge de départ à la retraite et alors que les entreprises peinent à recruter, la question de la QVT prend une dimension capitale. La place du travail dans une vie a changé. « Entre les jeunes d’aujourd’hui et ceux qui ont démarré leur carrière dans les années quatre-vingt-dix le regard sur le monde est radicalement différent, souligne Claire Ballan, fondatrice du cabinet Nalab. Ils n’ont pas le même rapport à la technologie, à l’information et à l’ergonomie que les précédentes générations ». Pour cette spécialiste de la sociodynamique, il est nécessaire de rappeler que « la performance d’une entreprise vient de l’énergie des individus qui la composent ». Ce qui peut sonner comme une évidence n’est pourtant pas compris de la même manière par tout le monde, notamment par certains dirigeants. Or, force est de constater que le monde du travail est en panne de dynamique, il est fatigué de courir. Les trente dernières années ont été marquées par des gains de productivité inouïs et les conditions de travail n’ont eu de cesse d’être étudiées à la loupe et « optimisées ». Résultat, les accidents du travail ont continuellement baissé et les situations à risques sont plus encadrées et sécurisées que jamais. Parallèlement, les risques psychosociaux sont montés en flèche. Liés au stress, lui-même né des situations de surcharge, ils ont pris une place de premier plan et sont devenus un phénomène de société. L’Anact, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, a même fait de la « santé mentale » son thème phare. Elle alerte sur « l’intensité du travail à un niveau élevé et une augmentation de la proportion de salariés en situation de tension ». La révolution numérique et les transformations qu’elle induit tant sur la définition des postes que sur le travail lui-même, y tiennent une responsabilité avérée. Le secteur de la métallerie n’a pas échappé à cette évolution.

Les analystes des ressources humaines retiennent deux approches pour traiter cette problématique. Une première approche dite « légaliste » et une autre plus globale, plus managériale.

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L’EPI n’est pas de la QVT

La première remonte aux années cinquante et la création des CHSCT avec des accords nationaux interprofessionnels et le cadre légal qui va avec. La politique « zéro accident » s’inscrit dans cette démarche, c’est connu de tous. L’accident n’est plus vu comme une fatalité et c’est tant mieux. « Ce sont les risques du métier », disait-on. C’est devenu inacceptable. Concrètement, dans les ateliers de métallerie, les compagnons qui soudent sans masque ni gants, ou pire, qui fument et soudent, sont devenus rares… Claire Ballan rappelle avec insistance que « l’employeur a une obligation légale de préserver la santé des employés ». Ça n’est donc pas une démarche de QVT ou de « confort » que de mettre en place des moyens de protection au sens le plus large. Investir dans le confort thermique, sonore, visuel et la qualité de l’air est pourtant loin d’être acquis dans la majorité des entreprises. Alors que cela relèverait bien de l’approche « légaliste ». Le dirigeant qui investit dans une aspiration des fumées de soudage ne fait pas de la QVT, il se conforme au droit du travail, ça n’est pas du tout la même chose.

Créer et entretenir un climat

La deuxième approche vise à créer un « climat QVT ». Ici pas de formalisme ni de cadre légal, on est bien plus dans le ressenti, le doigté et l’intuition. À la limite il y a des règles de bon sens et de savoir-vivre à appliquer. Pour Claire Ballan, « la qualité de vie au travail est un ensemble de facteurs qu’il faut savoir conjuguer ». Le salaire n’est pas le facteur le plus déterminant dans ce projet. Il en va de la nature du travail, son sens et son organisation. Comptent aussi la relation hiérarchique et les relations entre collaborateurs. En métallerie, c’est bien connu, certains se lassent plus que d’autres des tâches répétitives. Demandez-leur de percer des kilomètres de plats pour ensuite fabriquer des kilomètres de garde-corps barreaudés et vous les perdez sur-le-champ. C’est là que le centre d’usinage s’impose, voire le cobot de soudage… Les plus jeunes sont sensibles au mouvement, au changement de cadre, voire de posture de travail. La mobilité a fait son chemin et on ne parle même pas du télétravail qui, de toute manière, est peu adapté au secteur de la métallerie. Un secteur qui se « tertiarise », entendez la part des actifs salariés dans les bureaux (études, dessin, commercial, gestion…) tend à grossir alors que celle de la production baisse. Il est donc crucial de porter une attention particulière à la qualité de vie de ces équipes du bureau. Sous prétexte qu’elles ne sont pas exposées aux fumées, au bruit et aux températures extrêmes, elles sont souvent oubliées sur le plan des aménagements par les entrepreneurs.

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L’open space n’a plus la cote

Anthony Dejean, repreneur et dirigeant de la métallerie Heitz à Holtzheim (67) a inauguré il y a un an un nouveau bâtiment. « Les équipes du bureau d’études sont soumises à une forte pression aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur. Il m’a semblé impensable de les garder sur un plateau en open space, ça crée un brouhaha intenable. Ils ont besoin d’être concentrés et au calme », explique l’ancien cadre d’Alstom. Il a conscience que si les études ne travaillent pas sereinement, c’est toute la chaîne derrière qui vacille. Autre exemple d’attention chez MétalMade à Saint-Nazaire (44). « Mon conducteur de travaux qui a son propre bureau, a des douleurs de dos qui l’oblige à travailler debout la moitié de la journée. J’ai acheté un bureau motorisé avec des pieds télescopiques », raconte Cédric David, le dirigeant. Ce dernier a fait construire récemment un nouveau bâtiment et tout y a été pensé pour optimiser la QVT. Lumière et ventilation naturelle maximale dans l’atelier et les bureaux, dalle lisse et facilement nettoyable, potence sur chaque poste, rangements optimisés… Jusqu’au compresseur à air qui a été choisi car étant le moins sonore du marché à performance égale. En début d’année, Cédric David a fait changer l’outillage électroportatif des poseurs. « J’ai opté pour la nouvelle gamme Nuron de Hilti. Les machines sont plus puissantes avec des batteries plus légères, je n’ai pas hésité ». Le résultat ne s’est pas fait attendre, les poseurs sont ravis. Petit détail, la traditionnelle pompe manuelle à silicone a été remplacée par la version motorisée, là encore, la satisfaction se lit sur les visages de retour de chantier. La table à brider répond aussi à cette nécessité de réduire la pénibilité. Comme chez Heitz, MetalMade a fait travailler un architecte sur son bâtiment. Il y a une signature aussi bien en façade que dans le hall d’accueil avec notamment un bel escalier aux marches éclairées, des murs de couleurs, une déco sympa.

Il est question d’attractivité

Car, ne nous y trompons pas : il en va de l’attractivité des entreprises voire de la profession. Les parents qui accompagnent leur enfant pour un stage, seront sensibles à l’allure générale et à l’ambiance de travail au même titre que des clients ou des repreneurs potentiels. Créer des bureaux inspirés des « tiers lieux » et autres espaces de coworking est largement à la portée des métalliers qui doivent aussi tenir compte de la féminisation de la profession. Ils ont sous la main les compétences et les moyens techniques pour fabriquer eux-mêmes la plupart des aménagements, par exemple. Avoir des vestiaires parfaitement équipés et lumineux, un espace cuisine qui soit agréable et moderne, des salles de réunion qui donnent envie de s’y réunir. « Il ne faut pas sous-estimer le besoin de changement de cadre des salariés. Ça n’est pas une affaire de cosmétique mais bien d’animation dans un environnement sécurisant et réconfortant », insiste Anthony Dejean. Cédric David quant à lui rappelle que « les jeunes métalliers sont marqués par les progrès réalisés en termes d’équipements et d’aménagements dans les CFA et les Lycées Pro depuis vingt ans. Ils ne comprennent pas pourquoi ce serait si différent en entre entreprise ». L’animation du bien-être est une chose prise au sérieux dans les plus grands groupes mondiaux.

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Maintenir un état de motivation

Sont apparus outre-Atlantique les « happiness manager » et autres « chief happiness officer », les CHO pour faire court. Ils veillent à maintenir un bon état de motivation et d’implication des salariés et surtout un climat de bien-être qui favorise l’investissement personnel (et la performance…). Face à de jeunes diplômés en quête de sens autant que d’une réussite professionnelle et d’un salaire correct, il est utile de s’interroger sur les valeurs de son entreprise. La métallerie a, sur ce plan, quelques ressources intéressantes. Prenons l’écologie : alors que d’autres métiers s’obligent à placer une ruche ou une maison à insectes sur le toit pour se montrer écoresponsables, les métalliers ont la carte du réemploi et de la recyclabilité de leurs matériaux à mettre en avant. Aussi ce métier implique un travail d’équipe avec des talents et des technologies multiples ainsi qu’une variété inouïe d’ouvrages et de typologies de chantiers. Ça fait déjà une bonne base d’arguments bienveillants et motivants. À condition de le faire savoir avec conviction et de savoir l’entretenir sur la durée…