L'atelier dédié au thermolaquage est spacieux, c'est le moins que l'on puisse dire.
Dire que cette région est sinistrée est un euphémisme. Au moins une maison sur trois à Bohain-en-Vermandois est vide ou à vendre. Pourtant ce bourg picard, à vingt minutes de Saint-Quentin, a été un haut lieu de la révolution industrielle française. L’activité textile y a occupé une grande partie de la population jusque dans les années quatre-vingt-dix. La marque Rodier, connue pour ses pulls, a même démarré dans cette ville qui compte aujourd’hui moins de 6 000 habitants. La cité qui a vu naître le peintre Matisse est de fait parsemée d’anciennes usines à l’abandon faute d’acquéreurs. Cette situation problématique a toutefois un avantage : le prix ultracompétitif du foncier bâti. À deux heures de route de Paris, c’est ici, qu’ont décidé de s’installer les frères Dessenne.
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Alignement des postes de travail avec leur potences pour des postes à souder rutilants.
Thermolaquage intégré et laser
S’il y a bien une chose qui ne manque pas dans cette métallerie, c’est la place. Les deux bâtiments qui datent du XIXe siècle, anciens ateliers tout en longueur ayant servi à la confection de costumes, couvrent chacun 2 500 m2. La mairie a vendu l’ensemble à un prix très attractif. Certes, il a fallu entreprendre des travaux pour en faire une métallerie performante : installation d’une charpente treillis pour y fixer le pont roulant et coulage d’une dalle béton pour avoir un sol de niveau. Mais, globalement, les locaux étaient à jour côté accès (quai de déchargement), alimentation électrique et éclairage. 5 000 m2 pour à peine une quinzaine de personnes, on pourrait croire que c’est excessif. Pas tant que cela. L’un des ateliers est entièrement dédié au grenaillage et au thermolaquage avec beaucoup de place il est vrai pour filmer et entreposer les pièces. On y peint les ouvrages pour la métallerie Dessenne mais également pour les PME industrielles locales. Le chiffre d’affaires de cette sous-traitance est aujourd’hui de 300 000 euros, et il devrait pouvoir augmenter. L’autre atelier comprend les bureaux, la fabrication avec au moins quatre postes de travail, la forge, la zone de montage et le stockage matière. L’ensemble est bien équipé avec notamment des potences pour les postes de soudage (Kemppi) et une alimentation centralisée en gaz de protection pour le MIG. Des machines plus anciennes toujours opérationnelles côtoient le dernier cri technologique. À l’image du laser fibre (Amada) capable de travailler la tôle et les tubes. Cet investissement récent de plus de 700 000 euros va augmenter sensiblement l’autonomie de cette métallerie et lui ouvrir de nouvelles perspectives. « Nous allons gagner du temps et de la précision sur des travaux auparavant réalisés en plusieurs étapes plus ou moins manuelles. Mais surtout, nous créons nos propres pièces mécaniques », insiste Xavier Dessenne, dirigeant et aîné de la fratrie. Le laser permet en effet de réaliser toutes les pièces d’un mécanisme de serrure pour une menuiserie de grande hauteur par exemple, que ce soit en laiton ou en acier. « Nous retrouvons finalement avec cette technologie, les racines du métier de serrurier ». Les dessinateurs du bureau d’études travaillent principalement avec Solidworks (mais aussi Blender, un logiciel gratuit de rendu 3D) pour réaliser tous les ouvrages avec une grande précision. Dessenne, bien que bon client de Jansen, réalise ses propres profils pour les verrières en toiture, à base de cornière et profil T avec des joints commandés et fabriqués spécialement pour la métallerie. Les décorateurs parisiens sont sensibles à cette touche authentique.
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Un projet de jardinière en aluminium pour une toiture terrasse parisienne.
Dans les beaux quartiers de la capitale
Les marchés sont concentrés à plus de 90 % sur Paris intra-muros. On reste dans la haute couture et Xavier Dessenne aime les projets atypiques, techniques et esthétiques. Comme cette grande jardinière toute en courbes de 10 m de long réalisée à partir de plats en aluminium et destinée à la terrasse d’une villa de luxe. Un ouvrage de 10 tonnes qui a pu, grâce à l’espace disponible dans l’atelier être monté confortablement à blanc avant de passer, élément par élément, au thermolaquage. Le laser couplé à la rouleuse de tôle permet de réaliser des limons d’escalier dans lesquels les marches s’emboîtent avec une extrême précision rendant le soudage et le meulage presque inutile. « Nous faisons de la serrurerie de tradition avec des outils ultramodernes », aime dire Xavier Dessenne.
Ainsi, au chapitre des investissements futurs, il espère bientôt acquérir un centre d’usinage pour augmenter encore la dimension « mécanique » mais aussi, pour compenser autant que possible la difficulté du recrutement. C’est la limite d’un tel emplacement géographique. Du coup Dessenne s’active à former les « enfants du pays » à la métallerie d’art. Les trois frères étant Compagnons serruriers du devoir, ça fait déjà un socle solide de savoir-faire et une belle capacité à transmettre.
Xavier Dessenne
Le père Dessenne qui se disait « plombier maréchal-ferrant » avait donné le goût du fer et de l’effort à ses trois fils Xavier, Jérôme et Damien. Xavier, l’aîné, a 16 ans lorsque leur père décède. Il prend alors, malgré lui, le rôle de « figure paternelle ». La voie des Compagnons du devoir s’impose alors à cet adolescent. Les deux frères suivront ce chemin. Durant son apprentissage, Xavier croisera la route des Métalliers Champenois et de LMC aux USA. « Ils m’ont mis l’eau à la bouche pour les beaux ouvrages et les belles matières ». Avec son père il aura appris tôt à maîtriser les gestes autour du métal, chez les Compagnons il aura acquis « la science des styles ». Celui qui est convaincu de « vivre dans une époque étonnante et stimulante » se régale à confronter tradition et modernité.
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