Les métalliers sont impliqués corps et âme dans leur métier et la direction de leur entreprise. Souvent ils nourrissent en parallèle des passions. Celles-ci ne sont pas moins nécessaires à leur équilibre intérieur. Certains ont érigé cette passion en instrument de développement professionnel et impliquent leurs collaborateurs. D’autres préfèrent cultiver leur jardin secret avec discretion.

Les passions nourrissent-elles l’homme ? Son rapport au travail ? Prenons – au hasard ! – les patrons de la métallerie. Nous en avons sollicité plusieurs ; quelques-uns nous ont répondu, chacun proposant une vision particulière du concept de passion et de la mesure dans laquelle celle-ci influence leur vie professionnelle. Qu’elle soit dévorante, pratiquée avec raison, ou temporairement mise en sommeil pour affronter les impératifs du quotidien, la passion véritable est celle qui reste toujours dans un petit coin de la tête de celui qui lui voue un culte. « La passion n’a rien à voir avec le travail, lance Noël Peyramayou, dirigeant de Duval Métallu, au Mans. Il vaut certes mieux aimer son métier, mais la passion c’est autre chose, c’est irrationnel, cela ne rapporte pas d’argent, cela peut même en coûter. » Figure incontournable de l’économie sarthoise, Noël Peyramayou sait de quoi il parle : passionné de football depuis l’enfance, il a été président du Mans Union Club (MUC, devenu Le Mans FC) au début des années 2000. C’est sous son mandat que le MUC a accédé pour la première fois de son histoire à la Ligue 1, en 2003. S’il a depuis passé la main, il n’oubliera jamais cette période de sa vie dont la seule évocation suffit à le faire frissonner de plaisir : « Le football symbolise tout ce que j’aime, la performance individuelle au service d’un collectif, le partage d’émotions… Aujourd’hui je continue à me rendre régulièrement au stade, je suis partenaire du club. Une grande partie de mes week-ends tourne de près ou de loin autour du ballon rond, mais à un niveau d’intensité bien moindre qu’à l’époque où je présidais le MUC. »
Parce qu’il a étroitement imbriqué passion et vie professionnelle, Noël Peyramayou est peut-être un cas à part. Rappelons toutefois que certains dirigeants ont confondu les deux. Quand, par exemple, la passion s’appelle « avions de voltige et animation d’un aéroclub » l’addition est potentiellement salée. Heureusement que parmi les métalliers, la majorité se livre à leur passion sans que cela affecte, ou seulement à la marge, la vie de leur entreprise. Mais de quelles passions parle-t-on ? En pratique, y donner libre cours demande un certain sens de l’organisation… et beaucoup de temps libre. Certains le prennent envers et contre tout, comme un pied de nez à l’agenda démentiel de tout patron de PME. D’autres font leur deuil de leur passion et attendent des jours meilleurs (la retraite ?) pour s’y adonner de nouveau.

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Jacques Blanchet a fréquenté le milieu de la course automobile de près. Il était à deux doigts de choisir sa passion pour la Formule 1 plutôt que la direction de l’entreprise familiale. / Noël Peyramayou au centre avec les joueurs du FC le Mans qu’il a réussi à hisser en Ligue 1 comme président du club. / Stéphane Cocquet, aime le sport. Le dirigeant d’Arts et Forges dans l’Aube court tous les matins qu’il vente ou qu’il pleuve.

Jouer sur les deux tableaux

Si le profil type du passionné non contrarié, capable de jouer sur les deux tableaux (professionnel et personnel), est protéiforme, l’âge est un dénominateur commun : en général quinquagénaire ou quadra avancé, le dirigeant épicurien n’est pas délié de ses obligations professionnelles ; il a en revanche vu ses enfants grandir et jouit donc d’une certaine flexibilité quant à l’organisation de sa vie privée. De facto, les chefs d’entreprise qui nous ont répondu ont des passions accaparantes. Elles ont souvent à voir avec une activité physique ou motorisée, majoritairement au grand air. Patron de Tech Métal, dans la Manche, Gilles Gaignon ne jure que par les sorties en mer sur son bateau de 10 mètres de long, amarré au port de Granville. « D’avril à septembre, je m’évade quasiment tous les week-ends avec ma famille ou mes amis. Nous avons un terrain de jeu magnifique, le Mont Saint-Michel est tout proche, nous allons régulièrement à Jersey et Guernesey, il m’est déjà arrivé de pousser jusqu’en rade de Brest qui se situe à 5 ou 6 heures de navigation. »

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Le dirigeant de Techmétal dans le département la Manche a la passion du bateau. Gilles Gaignon a la chance d’avoir la mer quasiment en face de l’entreprise. / Franck Belin, est ceinture noire de judo. Une passion qu’il enseigne à des jeunes en difficulté et qui ne le quitte jamais dans son métier de dirigeant de Belin Construction. / Louis Richard, au centre, aime faire partager sa passion de la voile. Souvent il embarque avec des collaborateurs et aussi quand l’occasion se présente, des collègues métalliers.

Un état de manque

À l’instar de Gilles Gaignon, qui aurait du mal à laisser passer plus d’un week-end sans voir la mer, on reconnaît le passionné à l’état de manque qui le frappe quand l’objet de ses désirs lui échappe. Franck Perraud, patron de Perraud et associés, est un mordu de ski de randonnée. Il confesse être « malheureux » si un week-end dans la saison hivernale il ne s’échappe pas de ses bureaux de Saint-Jean-Le-Vieux, dans l’Ain, pour chausser ses skis et gravir en peaux de phoque les flancs alpins. « Ça me vide complètement, j’en ai besoin. Je ne viens plus travailler le samedi, je recharge les batteries à fond et j’arrive le lundi frais et dispo, pleinement efficace à ma tâche. » Chaque année, fin janvier, Franck Perraud s’accorde invariablement une pleine semaine de vacances pour découvrir de nouveaux terrains de jeu à ski de randonnée. « On se sent petit en milieu naturel, il faut anticiper même si nous ne maîtrisons pas tout. C’est la récompense qui est magnifique. Après une super descente, je suis fier de ce que j’ai fait, complètement requinqué, exactement comme après avoir achevé un important chantier. » Même état d’esprit pour Benoît Loison, de la métallerie Loison, dans le Nord, et judoka depuis toujours : « Quand je me consacre au judo, je ne pense à rien d’autre. C’est une vraie coupure. Je ne peux plus pratiquer avec la même intensité qu’autrefois car j’avance en âge et le corps ne suit plus. Mais quand j’étais plus jeune, une séance de judo me permettait de me défouler à fond. Je me vidais la tête et j’en ressentais tous les bénéfices au moment de reprendre mon activité de chef d’entreprise. » Le tout est d’arriver à concilier passion et direction d’entreprise.
Confrontés à ce choix cornélien, certains patrons de la métallerie, tout passionnés qu’ils sont, renoncent temporairement à leur marotte. « Je suis trop happé par mon métier et ma famille pour me consacrer à des loisirs qui demanderaient un minimum d’investissement en termes de temps, nous a confié, à regret, un patron de PME mordu de batterie qui fut, dans une autre vie, membre d’un groupe de rock amateur. Finalement, ma passion, c’est mon entreprise. »

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Le président des métalliers, deuxième en partant de la gauche, est féru de ski en haute montagne. Un sport d’équipe qui permet de se libérer de la pression quotidienne. / Damien Mamet, dirige Laugel & Renouard dans les Vosges. La région se prête aux longues balades en ski dans les montagnes. Une activité qui est devenue une passion.

Le manque de temps pour pratiquer

Jacques Blanchet, Pdg des Métalleries du Forez et passionné de course automobile, ne dit pas autre chose, même s’il a longtemps résisté : « J’ai fait dix ans de compétition de karting à haut niveau quand j’étais jeune et j’ai pratiqué pendant de longues années le pilotage sur circuit avec une Formule Renault, cette fois en loisir-passion. » Mais Jacques Blanchet a fini par tenir la bride haute à son amour pour les sports mécaniques : outre son activité de dirigeant d’entreprise, il est, depuis 2016, conseiller en charge de l’apprentissage au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Cette corde supplémentaire à son arc ne lui laisse plus guère de temps pour ses loisirs automobiles. « J’ai revendu ma Formule Renault il y a trois ans environ. Je n’ai aucun regret, j’ai vécu intensément ma passion pour la course ; aujourd’hui je n’ai plus envie de rouler vite sur un circuit. Le temps libre qu’il me reste, je le consacre deux fois par an à découvrir les routes de France en Harley Davidson avec des amis proches. » Ses années de pratique automobile lui auront, de toute manière, profité : car la passion, même si elle relève d’abord de la sphère privée, nourrit bien souvent, en écho, le cadre professionnel. « La conduite automobile est une bonne école de la vie, confirme Jacques Blanchet. Grâce à elle, on se place dans les conditions de la réussite et on apprend de ses échecs. Cela m’a servi dans mon métier. Dans la métallerie, il faut être précis, rigoureux, on doit envisager les bonnes hypothèses de départ pour mettre en œuvre les ouvrages qu’on vend à ses clients. » « J’ai beau avoir toujours fait le distinguo entre ma passion pour le foot et mon activité de métallier, je dois reconnaître que les deux se sont chevauchés, renchérit Noël Peyramayou. En tant que sport collectif, le football présente de fortes similitudes avec la vie d’entreprise ; il est porteur de bonnes pratiques et de réflexes dans le cadre professionnel. Je suis de ceux qui pensent que pour se réaliser collectivement, nous devons associer tous les ingrédients possibles, y compris l’amitié, voire l’amour, et bien entendu nos passions. »
L’intensité de la congruence entre passion et vie professionnelle varie selon les profils. Chez TechMétal, personne n’ignore l’amour de Gilles Gaignon pour la Grande Bleue, mais le dirigeant n’en fait pas un élément de sa stratégie entrepreneuriale : « J’y fais souvent référence dans la carte que j’adresse aux collaborateurs pour les vœux de l’entreprise. C’est une manière d’allier l’utile à l’agréable, mais cela ne va pas plus loin. » De son côté au milieu des années 2000, l’entreprise Loison est allé jusqu’à signer une convention avec un judoka de haut niveau pour l’accompagner dans sa préparation physique. Mais l’aventure est restée sans lendemain.
En revanche il arrive que leur passion pousse certains patrons à s’investir dans le monde associatif.

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Qui a déjà vu l’ancien président des métalliers en kimono ? Benoît Loison est ceinture noire de judo. Une autre de ses passions est tournée vers la marque Citroên dont il possède plusieurs modèles dont les utilitaires. / Laurent Lefevre, à droite et son père Gilles, co-dirigeant

Engagement associatif et politique

Dans le Nord toujours, Benoît Loison ne s’est pas contenté de pratiquer le judo jusqu’à atteindre le grade de ceinture noire. Il a aussi enseigné la discipline pendant de longues années et préside depuis 2001 le club d’Erquinghem-Lys. Il exerce également des responsabilités au sein de la Ligue des Hauts-de-France de Judo et siège à la Fédération. « C’est une gymnastique permanente, reconnaît l’intéressé. Je travaille beaucoup, mais quand je m’investis dans mes mandats au sein de la Fédération de judo, je le fais à fond. » Quant à l’implication de Jacques Blanchet dans le monde de la formation professionnelle en Auvergne-Rhône-Alpes, si elle est étrangère à sa passion première pour l’automobile, elle n’en constitue pas moins le signe d’un caractère passionné par nature. De son amour pour les belles mécaniques, le patron des métalleries du Forez conserve un solide réseau d’amitiés dans le monde de la course automobile et un trésor de fan : il est l’heureux propriétaire de l’un des karts utilisés par le jeune Nico Rosberg au début de sa carrière.
Les hommes évoluent, leurs passions demeurent.

Le cas Mas

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L’ancien dirigeant de Manière & Mas à Brive (19) est vraiment à part. Quand on dit de lui qu’il a la passion dans la peau, ça n’est pas seulement une manière de parler. Alors que nous roulions ensemble en voiture, il apprend que je suis motard et que je roule en « Américaine ». Jean-Pierre Mas lâche alors le volant pour déboutonner sa chemise et me montrer le tatouage du Bar and shield, entendez le logo de Harley Davidson qui lui barre la poitrine. Passé le court instant de stupeur, j’apprends alors que ce métallier haut en couleur est un féru de choppers totalement excentriques.
Un peu comme lui…