Zachary Nelson
Les jeunes en formation et en apprentissage sont l’avenir d’une profession. Sans eux le métier disparaît ou se transforme radicalement. La métallerie peine à se faire une image alors que les métiers manuels connaissent un sursaut d’intérêt. La nouvelle génération de dirigeants saura-t-elle relancer le dialogue intergénérationnel ?

C’est décidément une vieille histoire. Il y a vingt ans, en octobre 2000, paraissait dans Métal Flash un article intitulé « Où et comment trouver les futurs métalliers ? ». Nous pourrions quasiment le reprendre mot pour mot. Les enseignants dénonçaient déjà les fermetures de sections métallerie dans les CFA et les lycées professionnels faute d’inscrits. Les employeurs métalliers déploraient la difficulté de trouver une main-d’œuvre qualifiée tout en vilipendant l’Éducation nationale qui est historiquement, selon eux, à l’origine du problème… Si nous pouvions remonter 40 ans en arrière, probablement nous trouverions, à des détails près, un constat équivalent. Le désintérêt des jeunes pour les métiers manuels est avancé comme l’aboutissement d’un processus orchestré par les gouvernants et les enseignants afin de les pousser vers les études supérieures. On peut y ajouter la ritournelle sur les jeunes rétifs à l’effort, peu respectueux de l’autorité et instables professionnellement. Quand ils ne sont pas, selon certains, « lobotomisés » par Internet et les smartphones. C’est bien connu, Platon dans La République, fustigeait déjà il y a 2 500 ans, ces jeunes qui « méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne », y voyant « le début de la tyrannie ». Mais au fait, on est jeune jusqu’à quel âge ?
Si c’est une question d’âge disons que l’on est jeune, au sens où ça peut intéresser un employeur, entre 16 et 29 ans.

C’est quoi être un jeune ?

De l’apprenti jusqu’au métallier confirmé ou, dans le cas d’une reconversion, d’un apprenti adulte. Sans rentrer dans les explications plus ou moins sérieuses sur les particularités de la génération Y ou ceux que l’on appelle les « millennials », on peut leur attribuer des signes particuliers. Par exemple, les personnes nées en Europe après 1990 n’ont pas connu le monde sans internet. Ils sont connectés par nature. Ces individus se passent plus facilement de voiture que d’une connexion Wifi. Ils sont annoncés comme ayant une plus grande agilité digitale. Or, savoir recadrer en deux secondes une photo avec le pouce ne fait pas un cador de la CAO/DAO 3D. Autre particularité par rapport à la génération précédente : un rapport à l’autorité moins rigide, plus souple. Peu importent les raisons (éducation, enseignement, culture dominante…) le fait est que cette génération semble à la fois moins attachée au respect des codes hiérarchiques et plus sensible à « l’autoritarisme ». En d’autres termes, ils se fichent de qui est le chef mais ne supportent pas les ordres… C’est bon à savoir. Car, le jeune peut être tenté, sur un coup de tête, de quitter son poste au prétexte « qu’on lui aurait manqué de respect ». Une autre caractéristique qui touche les jeunes ayant une qualification et un minimum d’expérience : ils se savent demandés. Dans des métiers en tension cela crée une inversion des rôles entre employeur et demandeur d’emploi. En 2000, dans le dossier de Métal Flash, un consultant en communication avait recommandé aux dirigeants de recevoir les jeunes « comme des clients ». C’est encore plus vrai aujourd’hui. Cette nouvelle donne influence nécessairement leur relation au travail et, parfois, leurs exigences salariales.

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Delia Giandeini
Pas forcément soucieux de l’utilité sociale de leur travail, les jeunes sont globalement plus sensibles aux questions environnementales que la génération précédente.

Une relation ambivalente au travail

Un article de l’Injep (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) écrit par Julie Bene et publié en juin 2019 explique qu’il « n’existe pas un rapport au travail des jeunes, mais des rapports au travail portés par des profils variés ». En fait, selon leur niveau de qualification leurs attentes vis-à-vis du travail varient. Ainsi l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est plus important pour ceux ayant une qualification. Ces derniers sont aussi sensibles aux relations sociales dans l’entreprise contrairement aux jeunes chômeurs et inactifs pour lesquels la stabilité de l’emploi l’emporte sur le reste. Les profils qui intéressent prioritairement les métalliers sont des candidats qualifiés. Ces jeunes veulent être séduits par le poste et disposer d’une certaine autonomie : « faire des tâches intéressantes et pouvoir prendre des initiatives ». Avis aux employeurs ! Si vous voulez des « bons », faites-les rêver et faites leur confiance. Une enquête de 2016 du centre d’études Céreq pour le ministère de l’Éducation révèle, concernant le contenu même du travail, qu’assez peu de jeunes (29 %) considèrent son utilité à la société comme « très importante ». Ils privilégieraient plutôt « la réalisation personnelle que l’utilité sociale ». La génération précédente a pu considérer le travail comme « une obligation envers la société », aujourd’hui ce même travail est plutôt vu comme une « source de construction identitaire, ou de construction de soi ». Cela n’empêche pas cependant un grand nombre de jeunes d’avoir une conscience écologique, preuve d’une forme de préoccupation pour le bien de tous. Enfin, la relation au salaire est là aussi ambivalente. Si certains dans le bâtiment, face à la pénurie, font monter les enchères, des études comme celle du Céreq montrent que les jeunes qualifiés, tous métiers confondus, « sont seulement 28 % à considérer le niveau de salaire comme très important ». La sécurité de l’emploi, l’attractivité du métier et l’autonomie sont largement en tête de leurs attentes.

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Les effectifs d’apprentis ont commencé à baisser bien avant 2013 et ont entrainé la fermeture de bon nombre de sections métallerie dans les CFA.

A cause des patrons ?

Ce regard porté sur le salaire contredit l’idée que l’attractivité d’une profession dépendrait essentiellement du niveau des salaires. C’est une vision du passé, du siècle précédent. La réponse est ailleurs. Les métalliers ont longtemps avancé cet argument comme une manière de se dédouaner. « Nos salaires et nos primes sont loin d’être ridicules. Si l’on compare avec ce que touchent les jeunes diplômés dans une start-up, nous sommes mêmes très au-dessus », lâchait il y a quelques mois encore un chef d’entreprise. Croire qu’en augmentant seulement le salaire on puisse attirer des jeunes qualifiés est au mieux de la naïveté, au pire une erreur de management… Et si justement le problème venait, au moins en partie, des employeurs eux-mêmes ? Il faut se souvenir des années 1990-2000. Les dirigeants de l’époque presque exclusivement issus de la serrurerie – métallerie avaient démarré leur apprentissage à 14 ans. Une majorité d’entre eux n’ont connu que ce métier en reprenant l’entreprise familiale créée dans les années d’après-guerre. Ils avaient acquis leur culture du management et de la gestion sur le tas (ou plutôt tard le soir…). Le travail remplissait une vie, renvoyant même au second plan la vie de famille.
Le décalage avec les jeunes nés dans les années quatre-vingt-dix était immense.

Faute d’accompagnement et de tuteurs

La génération des patrons baby-boomer, lassés par ce décalage et par déception, a souvent arrêté d’accueillir des apprentis. Le dialogue entre ces deux générations a été difficile et même rompu dans certains cas. Nombre d’anciens qui auraient pu dans les ateliers comme dans les bureaux jouer le rôle de tuteurs sont partis en retraite et en préretraite. L’accompagnement des jeunes dans les entreprises a, pour diverses raisons, été négligé voire totalement abandonné.
Depuis moins de vingt ans, une nouvelle génération de dirigeants est aux commandes des entreprises de métallerie. Parmi eux il y a un nombre grandissant de repreneurs issus d’autres univers économiques, souvent d’anciens cadres du tertiaire, ayant une culture managériale différente. Des trentenaires ou des quadras avec un bagage de formation globalement plus élevé. Il faut espérer que leur approche du problème soit propice à faire revenir des jeunes dans la métallerie. Ils s’y efforcent en tout cas.

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Nesa-by-makers
Les millennials ont assez peu d’attachement au lieu de travail à condition toutefois qu’il y ait une puissante connexion Internet...

Alors que faire ?

À la question « comment intéresser les jeunes à la métallerie ? », Antonin, lycéen troyen de 17 ans, répond avec aplomb : « Youtubeur » ! Entendez un « influenceur » et sa chaîne YouTube dont certains dépassent le million d’abonnés… Leurs communautés intéressent bon nombre de marques et pas seulement pour les produits cosmétiques ou les chaussures. Il existe des jeunes Youtubeurs dans les métiers du bâtiment et du bricolage qui peuvent avoir un impact considérable. Reste cependant à détecter le bon et à trouver comment le rémunérer. Rien n’est gratuit et ces « influenceurs » ont leur modèle économique. Avant d’en arriver là, n’oublions pas que chaque entreprise porte une part de l’image du métier. C’est le moment de faire un lifting du site web avec une charte graphique rajeunie et des réalisations récentes. On n’attire pas les mouches avec du vinaigre. C’est aussi le moment de cadrer un peu mieux sa présence sur les réseaux sociaux en valorisant aussi bien les réalisations « sexys » et parlantes que les équipes en place. Des visages de jeunes souriants (avec leur autorisation préalable…) en disent plus long que du texte très souvent. L’image et les films doivent être soignés tout comme l’organisation des bureaux et de la production.

L’image du BTP s’améliore

Si autrefois les jeunes acceptaient de travailler dans des ateliers vétustes et mal éclairés, c’est plus difficile aujourd’hui. Les parents veillent. Justement, la clé pourrait reposer sur les parents. Communiquer en direction des parents et des enseignants des collèges pourrait être l’objectif d’une véritable campagne impliquant toutes les organisations professionnelles des métiers du métal. L’urgence du recrutement impose une mise en commun des moyens et des actions. Ça tombe bien, il y a quelques mois, elles ont décidé de se parler plus fréquemment et de s’engager sur des projets communs. L’autre bonne nouvelle vient d’une enquête BVA de février 2020 pour NGE (Nouvelle génération d’entrepreneurs) qui indique que 69 % des millennials, c’est-à-dire les 20 à 35 ans, « ont une bonne opinion du BTP ». 92 % des sondés estiment que la construction est un secteur « de projets concrets » et 88 % qu’il s’agit d’un « secteur riche en variété ». Des résultats bien plus favorables que ceux obtenus dans des enquêtes équivalentes sur l’attractivité des secteurs de la banque et de l’assurance…

« Tout connaître sans forcément le vivre »

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David Alexandre Martel-Morin

« Il faut connaître la génération à laquelle on s’adresse pour que le message puisse avoir une chance d’être capté. Internet a le monopole de l’information dans la vie des jeunes de 16 à 20 ans. Aussi ils veulent tout connaître sans forcément le vivre. Par exemple, sur les jeux vidéo, la grande mode n’est plus de jouer mais de regarder le Live d’autres joueurs qui font des montages vidéo en direct… Les chaînes YouTube sont regardées à toute heure et quotidiennement. Bref, il devient compliqué de faire voir un métier concret à cette génération. Soulignons toutefois que l’image du métier est devenue meilleure et plus parlante, en partie grâce à Internet. Il faut continuer à montrer, dans des vidéos notamment, que ce métier permet de créer et de faire de la conception en partant d’une feuille blanche. Ça tombe idéalement car les jeunes qui rejoignent notre corporation sont demandeurs d’outils informatiques de conception. »

David Alexandre Martel-Morin, 35 ans, formateur, compagnons du Devoir.

« Nos métiers apportent de la reconnaissance »

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Arnaud Matuszczak avec son apprenti Dorian étienne.

« On sait aujourd’hui que les études supérieures ne mènent pas nécessairement vers un emploi. C’est un tournant important qui nous est favorable. Notre chance dans la métallerie est d’avoir un lien étroit avec l’esthétique, la décoration, l’architecture… ça ouvre des possibilités auxquelles d’autres métiers peut-être plus connus ne peuvent prétendre. L’objectif n° 1 est de réussir à convaincre les parents. Si eux pensent qu’il est plus important que les enfants aient un « meilleur statut » qu’eux-mêmes et que ça ne peut passer que par les études universitaires, alors on est mal engagé. C’est une porte fermée. Ensuite l’Éducation nationale ne véhicule pas les bons discours sur les métiers dits manuels. Nos métiers apportent de la reconnaissance et c’est une donnée importante du bonheur. Un de mes apprentis, Dorian Etienne, 18 ans, a vraiment insisté pour faire un stage chez moi après avoir suivi une année de fac. Il avait le soutien de son père, mais sa mère s’est montrée réservée. Il a finalement fait son stage et s’est révélé être doué. Il a su, par exemple, dès le premier jour redresser une cornière tordue sur un tas creux. Ces jeunes sont rares, mais ils existent et il faut les soigner. Qui mieux que le dirigeant métallier peut donner une bonne image de notre métier ? C’est à nous d’être exemplaires, équitables, exigeants et justes avec nos salariés. C’est le meilleur moyen de garder les jeunes car ils sont devenus sensibles à des valeurs sur lesquelles les précédentes générations ne se formalisaient pas tant, la notion d’injustice, par exemple. »

Arnaud Matuszczak, 39 ans, Métal Matt.

« Montrer combien ce métier est en mouvement »

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Sam Palmarini.

« Avant de convaincre les jeunes de venir dans nos métiers, il convient de savoir s’ils ont vraiment l’envie de venir. Bien souvent les jeunes s’illusionnent sur ce qu’est la métallerie. Ils ont vu quelqu’un souder, ils ont vu une table ou n’importe quel objet qui leur plaît et hop, ils veulent en être… Les outils qui font des étincelles ça crée une illusion. Il est important d’être transparent sur la place qu’ils pourraient occuper chez nous et leurs perspectives de carrière à moyen terme. En même temps, je suis persuadé qu’il est tout aussi important de montrer combien ce métier est en mouvement, qu’il y a de la création et que ça n’est presque jamais le même travail. Il est extrêmement parlant de montrer tout ce que l’on peut faire avec quelques tôles et quelques tubes d’acier. Le tout c’est d’apprendre et pour ça, il faut savoir se montrer patient ! »

Sam Palmarini, 33 ans, Palmarini Ferronnerie Contemporaine.

« Les parents sont déterminants dans l’orientation »

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Julien Fourché.

« L’information n’est plus distillée par les anciens canaux, les jeunes s’informent aujourd’hui sur le web. Or, les métiers de la serrurerie-métallerie sont relativement peu renseignés sur le web. Pour la génération Z, le virtuel a pris le pas sur le manuel. Leurs parents nés entre 1960 et 1985 ne les ont pas poussés vers l’apprentissage. Les métiers manuels considérés comme dévalorisés sont réservés selon eux «aux mauvais élèves». Une piste serait de viser les parents qui sont déterminants dans l’orientation. Enfin, une fois que l’on a trouvé un jeune, faut-il encore savoir le garder. Tant de jeunes formés quittent la métallerie. Faire confiance, laisser de l’autonomie, un bon tuteur dans la société qui dégage du temps pour expliquer est essentiel pour fidéliser. Hélas, on parle trop de gains de temps, d’urgence, de retard et de formation efficace. »

Julien Fourché, 37 ans, KDI.

« L’épanouissement au cœur du recrutement »

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Romain Wanecque.

« Il n’y a pas de secret : pour attirer et garder les jeunes dans son entreprise il convient de leur proposer un vrai plan de carrière. Si à 20 ans le candidat n’a pas de vision de ce que sera son métier à 30 ans ou si la seule vision qu’il a c’est un plafond de verre… il ne faut pas s’étonner qu’il n’accroche pas. L’épanouissement doit être au cœur du recrutement ! Nous, patrons, devons partager notre vision et notre stratégie avec chacun de nos collaborateurs et donner à chacun sa place au cœur de cette stratégie. La question à lui poser est simple : en quoi la stratégie de l’entreprise et l’effort que tu fournis pour cette entreprise vont améliorer ton quotidien ? »

Romain Wanecque, 33 ans, métallerie Wanecque.