Jean-Luc Soubeyras, à droite, a lancé une formation de "forgeron coutelier" en complément de son activité de créateur et de coutelier.
Rallumez le feu !
Contrairement à la métallerie, la ferronnerie d’art a une puissance évocatrice inégalable. Après une période de déclin, ce vieux métier retrouve une vitalité et un engouement chez les jeunes qui ferait pâlir d’envie plus d’un formateur en métallerie. Or, comme le fait remarquer Gaël Hardy, dirigeant de Crézé à Saint-Jacques-de-la-Lande (35) : « le métier fait rêver, mais ça n’est pas un métier de rêveur ». Plus d’un jeune en quête d’émotions fortes se prend d’envie de marteler le fer après avoir été nourri de séries médiévalistes et gothiques. Les flammes et le bruit de l’enclume fascinent toujours autant. Les dizaines de manifestations publiques à l’image des Fèvres ou des Rencontres d’Arles-sur-Tech ont non seulement entretenu la flamme mais ont suscité des vocations. Une jeune génération a pris les commandes. Dans ce milieu resté longtemps dans l’obscurité et aux mains d’une poignée de « maîtres », c’est un vent de fraîcheur qui souffle sur le foyer des forges françaises. Certes, le marché est une niche. Mais est-ce une raison pour ne pas s’y intéresser ?
La formation, la clé du déclic
Oublions les élans romantiques de ceux qui veulent, après quelques semaines de stage, forger l’épée de Game of thrones. Le métier impose une persévérance et une maîtrise technique qui prennent nécessairement du temps d’acquisition. À ce titre, bien qu’un certain nombre de sections aient fermé, la formation s’est plutôt bien structurée au cours des dernières années. À commencer par le fait que la discipline est devenue une des spécialités de la métallerie. Concrètement, il faut avoir un CAP de serrurier-métallier (ou de chaudronnier) avant de pouvoir prétendre à celui de la ferronnerie d’art. Il en va de même pour ceux qui ont le bac et qui visent le BMA. Il faut d’abord cocher la case CAP en métallerie que les bacheliers passeront en un an. Les plus chanceux d’entre eux connaîtront la classe de Philippe Bachmair du CFA de Périgueux (24). Celui qui, depuis 2000, est engagé dans l’enseignement et le conseil aux entreprises artisanales, a une méthode aussi particulière qu’efficace pour tester la motivation des candidats. « Je tends au jeune un bloc de plomb. Le matériau a la même malléabilité qu’un fer à 900 °C, mais sans l’effet rebond. C’est donc plus dur à travailler. Tant qu’il n’aura pas réussi à faire les formes que je lui aurai demandées, il ne touche pas au feu ». C’est une manière d’initier au geste sans avoir les dépenses en matière et en énergie ; une façon écologique d’engager les premiers pas dans le métier en somme. « La fatigue est un bon moyen de sélectionner les plus motivés », lâche-t-il. Ici, « on n’enfile pas les perles, on bosse. Car ce sont les patrons des PME qui financent la formation ». Aussi, dans ce CFA, on ne réalise pas de « pièces poubelles ». Les jeunes travaillent sur de vrais projets qui veillent à ne pas empiéter sur le marché des entreprises locales. La remise à neuf du kiosque à musique des Tourny à Périgueux est de ces projets. Le moins que l’on puisse dire est que la pédagogie Bachmair fonctionne bien : 100 % de ses anciens élèves sont encore dans le métier et 83 % ont monté leur propre structure. Une dizaine de diplômés par an, dont certains sont devenus des pointures à l’image d’Aurélien Angelloz-Nicoud (Élégance Métal) ou Sylvain Mabille de Poncheville (Ferronnerie d’art française). Autre établissement prestigieux, l’école de Muizon (51) chez les Compagnons du devoir qui a vu passer depuis des décennies la fine fleur du métier. Nombreux sont ceux issus de cette école qui ont été tentés par l’étranger, notamment les USA. Signalons aussi le ca du CFA de Brétigny-sur-Orge (91) qui dispense une initiation à la ferronnerie aux candidats en CAP métallerie et ce dans un atelier rutilant et formidablement équipé.
Pour Lionel Moretto qui a créé Metafer Patrimoine à côté de Saint Brieuc (22), il faut compter au moins cinq années de pratique et d’apprentissage avant de pouvoir être autonome sur les projets. Pour lui, comme pour d’autres, ce qui compte c’est aussi « l’acquisition d’une vraie culture des styles et des techniques ».
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Le CFA de Brétigny-sur-Orge propose un enseignement en ferronnerie aux candidats de CAP métallerie. /A la métallerie Dessenne à Bohain-en-Vermandois (02) la forge est toujours prête à être démarrée.
Faut-il éduquer les clients ?
Pendant des décennies la ferronnerie d’art s’est polarisée sur le secteur du patrimoine. Cela imposait une bonne connaissance des styles anciens (Louis XV, Louis XVI, etc.) et des techniques d’assemblage de l’époque. Les volutes et des feuillages sous toutes les formes et tailles y tiennent une place de choix. Or, comme le souligne Lionel Moretto, « il y a une lente ouverture du métier vers des créations plus contemporaines, de l’Art Déco voir des réalisations vraiment innovantes qui associent métallerie et ferronnerie. Nous devons expliquer aux clients que sur certaines pièces les assemblages se font à la soudure, d’autres à la forge ». Pour Frédéric Vauzelle, chez qui on est ferronnier depuis quatre générations, la clé de la survie du métier tient au niveau de culture des clients. « Sans transmission de la culture du beau c’est terminé. Les gens de goût savent que ça coûte plus cher. Les parents ont la responsabilité de transmettre le bon goût des choses à leurs enfants, dans tous les sens du terme. L’éducation a une place déterminante ».
Attirer les bons profils
La démarche qui vise à élever le niveau de réflexion et d’analyse vaut évidemment aussi pour la métallerie. Tout le monde est demandeur de salariés qualifiés et capables de raisonner avec un minimum d’autonomie. Or, justement, la métallerie qui garde une activité de ferronnerie, même embryonnaire, tient un argument pour attirer de bons profils de collaborateurs. Dans la communication de l’entreprise il est pertinent d’avoir des références « esthétiques et créatives », ça intéresse autant les donneurs d’ordres que les jeunes en recherche d’emploi. Elsa Fantino, ferronnière en Saône et Loire fait un constat radical : « Ce sont les métalliers qui ont une carte à jouer sur ce marché. Le DIF en ferronnerie devrait leur être réservé. Un ferronnier selon moi est un métallier sachant forger ». Selon cette ancienne MAF, il faut bien connaître la « matière et ses contraintes » avant de se dire forgeron. De plus, quand il s’agit de réaliser un portail, Elsa Fantino estime qu’il y a en termes de travail « 90 % de métallerie et 10 % de ferronnerie d’art » sur un tel ouvrage.
Se laisser tenter par la créativité
Le regain d’activité qui se ressent depuis près d’un an dans diverses régions de France est sans doute à attribuer, au moins pour partie, à la situation sanitaire. La crise du Covid et les phases de confinement ont stimulé l’achat et la rénovation de maisons secondaires souvent à la campagne ou dans des villes moyennes. Les artisans tous corps de métiers confondus ont profité d’une vague d’investissements inattendue. Pour ces clients particuliers, les métalliers ayant une compétence en ferronnerie peuvent proposer une palette assez large d’ouvrages. De la pergola ou de la véranda acier avec quelques volutes forgées au mobilier et aux grilles et portails. La rampe est toujours un ouvrage dominant dans ce métier, mais il faut imaginer d’autres pistes. Pourquoi pas un bâton de maréchal matricé ou formé à chaud, fixé sur une porte vitrée réalisée avec des profils de gamme ? Se laisser tenter par la créativité et l’innovation peut s’avérer être un choix gagnant. Elsa Fantino n’hésite pas à intégrer dans ses ouvrages de métallerie, une mezzanine ou une passerelle, des pièces forgées issues d’une récupération de matière. « Un nombre grandissant de clients est sensible à la démarche du réemploi, de la seconde vie que l’on donne à des éléments qui finissent habituellement à la benne ». Il y a une histoire qui peut être racontée et tout le monde, ou presque, aime les belles histoires.
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La suissesse Eveline Kesseli a imaginé un départ de rampe on ne peut plus créatif et joyeux. /Un insecte en Damas réalisé par Jean-Luc Soubeyras. Un sommet de maîtrise technique.
L’effet booster des réseaux sociaux
Sur ce terrain il faut bien reconnaître l’impact d’Internet et des réseaux sociaux. Elsa Fantino parle de « révolution dans le métier ». Selon elle, « pour un faible investissement, nous avons gagné une audience qu’aucune manifestation traditionnelle ne pouvait nous apporter ». Elle fait référence aux 15 000 followers du compte Instagram de son compagnon Fred Perrin, coutelier réputé. « Si à peine 1 % de ces abonnés devenaient clients, il aurait du travail sur deux ans ». La fabrication d’un couteau ou de n’importe quelle pièce à la forge attire l’attention sur la toile. Décupler son audience et consolider sa réputation sur le Net, c’est tout le mal que l’on peut souhaiter aux métalliers.
Vivre de la ferronnerie ?
Aux dires de la plupart de nos interlocuteurs il est possible de vivre de la ferronnerie mais sous certaines conditions. Jean-Luc Soubeyras, dirigeant de Couleurs de Forges dans la Drôme explique qu’il faut « beaucoup de rigueur ». Celui qui fabrique son propre Damas et gère une école de formation au titre de « forgeron coutelier à la forge », dispose d’un atelier de 300 m2 et emploie quatre personnes, dont son épouse et son fils. Dans un autre registre, Gaël Hardy, dirigeant de Crézé dans les Côtes d’Armor, reconnait que la ferronnerie représente entre 30 et 40 % de son chiffre d’affaires et qu’il faut déployer beaucoup de moyens pour le recrutement : « C’est toujours tendu, mais nous faisons un effort de formation et de ressources humaines énorme en comparaison de nos effectifs. Tous les ans nous avons deux itinérants qui sont sur le Tour deux France et deux apprentis ». Lionel Moretto reconnaît quant à lui que le chemin est long avant de pouvoir atteindre la rentabilité. « Il existe des clients qui sont prêts à investir 80 000 euros dans une rampe, mais pour cela il faut avoir une réputation, une marque reconnue ». Le temps long Frédéric Vauzelle il connaît. Il est issu d’une famille de ferronniers sur quatre générations. Celui qui a quitté la région parisienne pour le Marais Poitevin il y a dix ans admet pouvoir en vivre. Il a cependant gardé le contact avec les architectes et décorateurs parisiens qui font régulièrement appel à lui pour leurs projets.
« Garder la main sur la création »
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Frédéric Vauzelle, "je ne cesse de lire les ouvrages de ferronnerie".
« Je ne suis pas soumis au dessin du décorateur ou de l’architecte. Quand il s’agit de réaliser des rampes ou des escaliers je les dessine. Je m’efforce de comprendre ce que le client ressent et de m’imprégner de sa personnalité. Mais je ne peux pas faire du kitsch et du mauvais goût. Un projet c’est un tout, il y a un esprit commun. Cela suppose un peu de culture. Si l’on ne sait pas proposer et créer, c’est plus dur d’en vivre. Il faut garder la main sur la création. J’ai un budget livres et je ne cesse de lire les ouvrages de ferronnerie. Il est important de rester toujours dans la recherche. Il y a tant de créations ailleurs qui sont des sources d’inspiration. Dans ce métier, il faut être capable d’être à l’écoute du client pour pouvoir lui proposer des synthèses de ce que nous avons vu ailleurs. Sortir des sentiers battus. Il faut pouvoir proposer au client une manière de se démarquer. L’artisan ferronnier a normalement cette force de proposition », Frédéric Vauzelle, ferronnier et artiste sculpteur.
Metal Design, un regard rafraîchissant sur la ferronnerie
Il est attendu tous les ans depuis vingt ans par des centaines d’amateurs et de professionnels. Le livre Metal Design International édité par la revue allemande Hephaïstos dédiée à l’artisanat d’art dans le métal, est un must. Dans l’édition 2022 est présentée une sélection de sept artisans de plusieurs pays (Allemagne, Australie, Roumanie, Suisse…). Parmi eux l’australien Will Maguire qui se distingue par une remarquable créativité et une parfaite maîtrise de son métier. La diversité de leurs travaux et de leurs techniques, est une source d’inspiration pour de nombreux ferronniers.
232 pages, 400 photos et croquis, texte allemand et anglais, 45 euros.
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