
Lentement le réemploi prend forme dans la métallerie et la construction métallique. Les bureaux de contrôle ont pris la mesure de l’enjeu au vu des impératifs de réduction de l’impact carbone et les assureurs semblent moins frileux. Trouver des éléments issus de chantiers de démolition n’est pas encore facile. La démarche est en pleine éclosion et les initiatives jaillissent de façon éparse. Dernier exemple en date, la plateforme Sinfina. Lancée par l’entreprise de métallerie et construction métallique Général Métal Édition basée à Gonesse (95), il s’agit d’une plateforme de vente atypique sur le Net : elle est faite par des pros du métal pour des pros du métal. Aussi, Sinfina ne met en ligne que des ouvrages qui ont été vérifiés et validés. « Pas question d’accepter tout et n’importe quoi, nous engageons notre responsabilité », insiste Julien Jussaume, dirigeant de Général Métal Édition. Ce dernier a eu l’idée de créer cette plateforme lors du confinement du Covid, en 2020.
30 à 40 % moins cher que le neuf
L’activité a démarré avec les ouvrages démontés par l’entreprise et progressivement sont venus se rajouter au catalogue des pièces démontées spécialement pour être revendues sur Sinfina. Des escaliers, des garde-corps, des mains courantes, du mobilier métallique, des profils de toutes sortes… et la palette des prix est large. « Les tubes et poutres IPE ou autre, sont vendus 30 à 40 % moins cher que le neuf du commerce. Nous proposons en général les produits de charpente autour de 900 euros la tonne, ce qui est en dessous du marché qui est à 1 200 à 1 400 euros la tonne », précise Michel Monti, associé de Général Métal Édition. « Un métallier qui aurait un ouvrage à démonter peut aussi nous contacter. Nous devons nous assurer que l’état de la pièce est suffisamment bon pour que l’on puisse la réutiliser. Il y a des précautions de démontage à prendre. Nous ne rémunérons pas les « offreurs », mais nous nous engageons à démonter gratuitement la pièce et à la reprendre ce qui enlève déjà un poids à l’entreprise. Nous sélectionnons les pièces sur photos avec une description et parfois nous nous déplaçons pour prendre la décision ».
« Sécuriser les pratiques de réemploi pour mieux les généraliser »

Sylvain Laurenceau, "les filières de reconditionnement reconnus sont rares et peu structurées".
Valorisé dans la RE2020, exigé dans la REP, facilité par le diagnostic PEMD… Le réemploi des matériaux et produits de construction progresse lentement. Sylvain Laurenceau, directeur opérationnel Économie et Ressources au CSTB fait le point.
Métal Flash Quelle est la définition du réemploi des produits et matériaux de construction ?
Sylvain Laurenceau L’article L.541-1-1 du Code de l’environnement l’envisage comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel il avait été conçu ». Le plus souvent, ils sont récupérés sur un chantier et acheminés vers un autre. Ils peuvent aussi être mobilisés par des acteurs du reconditionnement ou par des industriels reprenant leurs produits pour les remettre sur le marché. Mais ces filières aux process de reconditionnement reconnus sont rares et peu structurées. Il en existe d’autres, plus nombreuses pour le marché des particuliers, mais elles ne sont pas en mesure de garantir la qualité des produits revendus.
M F La maîtrise d’ouvrage encourage-t-elle ces démarches ?
S L Les maîtres d’ouvrage publics l’envisagent, entre autres, comme un levier de création d’emplois tandis que le privé, comme les grands groupes de promotion immobilière par exemple, y voient un axe de développement de leur politique RSE. Enfin, évidemment la prise en compte de l’impact écologique des bâtiments est grandissante. Les cahiers des charges intègrent davantage de clauses de réemploi.
M F D’autant qu’il est mentionné dans les textes réglementaires…
S L La RE2020 considère l’impact carbone du réemploi comme nul, il est donc valorisé pour les bâtiments neufs. Le décret n°2021-821 du 25 juin 2021 relatif au « diagnostic portant sur la gestion des produits, équipements, matériaux et déchets issus de la démolition ou de la rénovation significative des bâtiments » a refondu le diagnostic Produits Équipements Matériaux Déchets (PEMD). Obligatoire pour les maîtres d’ouvrage pour les bâtiments dont la surface cumulée de plancher est supérieure à 1 000 m², il permet de visualiser en amont les gisements potentiels pour permettre aux filières de s’organiser avant même le lancement des marchés de dépose. Enfin, l’objectif de la REP est d’atteindre 5 % de produits et matériaux réemployés d’ici 2028. Le taux est aujourd’hui d’à peine 1 %. Charge également aux éco-organismes de contribuer au développement de ces filières.
M F Comment le réemploi est-il envisagé par les assureurs ?
S L Il n’est visé qu’au cas par cas. L’objectif de nos travaux, en collaboration avec l’ensemble des acteurs, est de définir des modes opératoires partagés et reconnus pour sécuriser la chaîne. Les démarches sont en cours. Elles se traduisent par des expérimentations, la réalisation de documentations définissant les bonnes pratiques… En avril 2022, nous avons ainsi publié, avec l’association Orée, un guide sur la déconstruction sélective puis, à l’été, un plan d’action et la liste des 29 familles de produits les plus propices au réemploi, établie avec une cinquantaine de professionnels du reconditionnement et de l’acte de construire. L’objectif : servir de catalyseur à la formalisation et à la reconnaissance des pratiques. Nous sommes à la recherche de moyens complémentaires pour en renforcer le périmètre. Enfin, nous avons également mis en place des formations dédiées avec différents partenaires.
M F Le modèle économique est-il viable ?
S L Il reste encore à trouver. La dépose sélective et le reconditionnement seront créateurs d’emploi. Mais cette nouvelle main-d’œuvre a un coût qui n’est pas toujours compensé par les économies réalisées sur l’achat des matériaux. Certes, l’augmentation du prix et les difficultés d’approvisionnement en matières premières tendent à équilibrer la balance. Pour optimiser financièrement la démarche, il faut anticiper la démontabilité, la recyclabilité et le réemploi des matériaux et produits : l’éco-conception au service de la circularité. C’est essentiel. Une fois les travaux lancés, il est difficile de revenir en arrière. Le CSTB a lancé une démarche d’ampleur sur la caractérisation de la circularité des produits avec quatre indicateurs : la part de matières recyclées ou renouvelables, la démontabilité, le potentiel de réemploi et le potentiel de recyclage. Avis aux amateurs !