
Le soudage laser manuel est la technologie montante dans les ateliers de métallerie. Tout le monde ou presque s’y intéresse, tant les avantages sont nombreux. À commencer par la facilité d’utilisation et la vitesse d’apprentissage. Seulement voilà, il y a la question de la sécurité. Des revendeurs de ces machines majoritairement chinoises, ont glissé sous le tapis la dangerosité du rayon laser pour les yeux. Certains métalliers ont franchi le pas en s’entourant de mesures de sécurité disparates en raison d’informations contradictoires diffusées sur les réseaux sociaux et du manque de connaissance des revendeurs et des acquéreurs. Nous avons cherché à en savoir plus. Franck Rigolet, a fait toute sa carrière professionnelle dans le laser, notamment comme expert en sécurité. Il est bien placé pour nous éclairer.
Métal Flash : Quel est votre regard sur le marché des postes de soudage laser manuel ?
Franck Rigolet : Depuis trois ans, viennent à nos formations des personnes qui montent une affaire de revente de machines de soudage laser achetées à prix bas en Chine. Plusieurs majors de la découpe laser avaient étudié ces technologies il y a plus de dix ans mais, face aux risques induits, ne les avaient pas commercialisées. Le leader mondial du laser fibre, IPG, propose ses propres machines de soudage manuel accompagné par un organisme spécialisé dans la sécurité, pour garantir la conformité de ses appareils. D’autres fabricants européens proposent des solutions de mieux en mieux protégées. Mais les puissances de plus en plus fortes, 1 500 W actuellement, bientôt 3 000 W et dans un futur proche 6 000 W, nous font craindre le pire.
« Même si la lumière bleue visible est moins présente en soudage laser, les UV sont toujours violents »
M.F : Quel est l’état de la réglementation et de la normalisation ?
FR : La Commission Nationale de Sécurité Optique et Laser que je préside, participe aux comités de normalisation internationale et nous sommes conscients des faiblesses des textes actuels. Malgré tout, le Code du travail est clair sur les exigences vis-à-vis des employeurs. De même, les normes fixent des règles de conception des appareils. En revanche, les moyens pour parvenir aux objectifs ne sont pas facilement adaptables pour des appareils tenus à la main par un opérateur. Elles imposent des contraintes que les soudeurs ont du mal à intégrer. Auparavant les lasers étaient manipulés par des robots, enfermés dans des enceintes surveillées par une chaîne de sécurité, ce qui est la définition d’une machine laser de Classe 1. Le risque y est relativement limité. Les règles sont les mêmes pour ces nouvelles machines de soudage manipulés par des personnes avec des risques nettement plus importants. La directive européenne donne la responsabilité au fabricant ou à l’importateur (pour un fabricant extra-européen) d’intégrer dans son équipement les sécurités nécessaires. Si le poste à souder est vendu seul sans enceinte de protection, (classe 4 - danger maximum), c’est au fabricant d’expliquer, en français, dans sa notice technique les moyens de protection à installer pour protéger les autres salariés. Il faut savoir qu’en tir direct, un laser de soudage de 1 500 W peut détruire un œil jusqu’à 150 m. Il est facile de comprendre pourquoi les normes imposent des protections techniques avant le déclenchement d’un tir (gâchette protégée, impossibilité de tir si pas de contact avec la pièce). Cependant, les normes actuelles n’apportent pas de réponse précise à tous les besoins de ces équipements et les systèmes de protection sont faciles à contourner.

Le fabricant allemand Laservision, entité du groupe Uvex, a mis au point la visière FS 1 Face-Shield spécialement pour le soudage laser manuel.
M.F : Quels sont véritablement les dangers et y a-t-il eu des accidents ?
FR : En trente ans nous n’avons eu que peu d’accidents dans l’industrie. Depuis l’apparition des appareils manuels, plusieurs accidents se sont produits en Europe et en France. Le rayonnement laser intense peut provoquer une brûlure rétinienne qui se traduit par une perte de vision partielle, voire totale et définitive. Ce risque est complémentaire aux risques liés aux ultraviolets. Nos propres mesures ont démontré un haut niveau de production d’UV. Même si la lumière bleue visible est moins présente en soudage laser, ce qui peut induire une fausse sensation de sécurité, les UV sont toujours violents et peuvent provoquer des coups d’arc pour les yeux et des érythèmes sur la peau. Il circule sur les réseaux sociaux la vidéo d’une enfant en T-shirt testant un poste à souder laser équipée d’une simple paire de lunettes. Sur cette même vidéo on voit des soudeurs utilisant un poste TIG, protégé de la tête aux pieds sans aucune partie du corps apparente. Je ne comprends pas cette différence d’appréciation du risque ! Les lasers de soudage émettent, un rayonnement infrarouge, totalement invisible, aux alentours de 1 070 nm. Lorsqu’on soude une pièce, le niveau de réflexion diffuse est élevé. Des clients nous ont retourné des photos de casques brûlés par ces réflexions. La puissance installée sur ces postes est de 1 500 W en général. Pour dépasser le seuil admissible, il suffit qu’1 mW rentre dans l’œil, soit 1,5 million de fois moins que la puissance du laser. Une réflexion peut largement dépasser ce seuil.
M.F : Les pouvoirs publics sont-ils impuissants ?
FR : Les Carsat sont inquiètes, mais l’État a une forte inertie. La Carsat des Pays de la Loire a édité une brochure pour guider les utilisateurs de poste laser de soudage ou de décapage, vers une plus grande protection des travailleurs. Ils s’appuient sur les textes réglementaires et des principes de bon sens. Depuis peu, l’INRS a décidé d’étudier plus en détail les effets de ces appareils sur la santé aussi bien au niveau des émissions de rayonnements qu’au niveau des émissions des fumées et des particules. En revanche, les résultats ne seront pas connus avant plusieurs mois. Le fait qu’une étude soit entièrement consacrée à ce sujet, est déjà un enseignement sur l’importance du danger.

Il est impératif de souder en cabine avec condamnation de la porte et de préférence avec un toit.
M.F : Comment expliquer l’attentisme des fabricants de postes à souder à arc ?
FR : Ils observent avec attention ce marché, mais la plupart ont conscience des risques pour leur image de mettre sur le marché des produits peu sûrs. Compte tenu de l’engouement pour cette technologie, bon nombre d’entre eux franchiront le cap en fabriquant leur propre machine ou en important du matériel asiatique qu’ils devront mettre en conformité. La norme EN11553-2 de février 2009, pourrait couvrir les prescriptions de fabrication de ces appareils manuels, mais nécessiterait une réactualisation pour prendre en compte les évolutions récentes des applications et de la technologie.

Sur ce casque de soudage on distingue au centre de la visière des traces de brûlure d'un tir de laser.
M.F : Outre la responsabilité du fabricant, qu’en est-il des employeurs ?
FR : Le fabricant (ou le revendeur) a la responsabilité de mettre sur le marché européen un produit conforme aux exigences des directives européennes et de fournir avec son matériel, une notice d’utilisation complète, une déclaration de conformité et le marquage CE. L’employeur doit exiger ces documents. Or, souvent la notice se limite à deux pages sans déclaration de conformité. Les articles R4452-1 à R4452-31 du Code du travail précisent les obligations du chef d’entreprise. Compte tenu des dangers, les opérateurs doivent être formés aux risques lasers (Niveau Personne Exposée aux Risques Lasers / PERL Niv2) et comme le précise l’article R4452-21, l’employeur doit avoir les compétences en interne pour réaliser les analyses des risques. Il doit pouvoir assurer que ses salariés ne pourront jamais être exposés à un rayonnement supérieur aux valeurs limites d’exposition. Pour cela une formation Personne Compétente en Sécurité Laser /PCSL Niv3 est obligatoire. L’employeur doit également établir la liste des personnes susceptibles d’être exposées et la transmettre au service de santé au travail. De même, l’employeur doit s’assurer de l’aptitude médicale des personnes qui seront au plus près des lasers.
M.F : Certains métalliers improvisent. Par exemple, avec un contacteur de porte de la cabine qui interrompt l’appareil en cas d’intrusion. Est-ce intéressant ?
FR : Effectivement, si le métallier achète uniquement le poste à souder, c’est à lui de construire une installation qui réponde aux exigences réglementaires et notamment aux normes EN11553-1 et 11553-2. Le faisceau laser se déplace à la vitesse de la lumière et transporte une puissance invisible considérable. Il est donc important que les moyens de protection soient adaptés et que les normes citées répondent à ces exigences. Elles exigent, entre autres, un circuit de sécurité intégrant la porte d’accès à la cabine et relié au laser. L’état de fonctionnement du laser doit être visible à l’extérieur comme à l’intérieur de la cabine. Le toit sur la cabine est sans doute une solution efficace, mais aucun texte ne l’impose. Il faut vérifier que les salariés autour de la cabine, donc non protégés, ne soient pas exposés à un rayonnement réfléchi par les gaines techniques réfléchissantes, par exemple. Aussi, il ne faut pas négliger la captation des fumées et des particules, surtout dans un espace confiné. Éviter de positionner des objets ou produits inflammables à proximité de la torche laser, tels que des parois en bois ou des solvants.
M.F : Quels conseils donneriez-vous aux métalliers ?
FR : Ne pas oublier que le soudage laser n’élimine pas les dangers déjà connus des soudeurs à savoir la production de rayonnements UV dangereux et de fumées et particules. Le laser rajoute un danger supplémentaire, c’est le rayonnement infrarouge qui a une forte capacité à se réfléchir sur tout objet métallique.
Ne pas écouter les commentaires de certains « influenceurs » inconscients sur les réseaux sociaux.
Faire attention à la conformité des installations et des EPI. Il y a sur internet des lunettes de protection à 15 euros, des casques ou cagoules à 79 euros. Soyons sérieux ! Nos tests ont démontré que la majorité de ces protections sont inefficaces. Quelques fabricants sérieux proposent des protections adaptées. Citons Laservision, Univet, Optrel, Protect Laserschutz. Et dernier point, on ne maîtrise bien que ce qu’on connaît bien ! formez-vous et exigez le Label CoNSOL pour vos formations.
Parcours
À 60 ans, Franck Rigolet aura passé toute sa carrière professionnelle dans l’univers du laser. Il a participé dès le début des années quatre-vingt-dix à des programmes européens sur les risques liés à cette technologie. Ces travaux ont abouti entre autres, aux premiers référentiels de formation en Sécurité laser. Il dirige depuis 23 ans le centre de formation Irepa Laser Academy à Illkirch (67). Cet établissement qui est également une société de recherche sur les procédés industriels du laser (soudage, fabrication additive, érosion) et forme tous les ans plus de 1 300 personnes à la sécurité et aux procédés lasers.