Dire que ce fils de banquier a failli ne jamais toucher à l’art, ni mettre ses pieds dans un atelier. Bon élève, il avait démarré sans but une fac de maths. Il abandonne en cours de route et s’inscrit au concours des Arts Décoratifs. Par défi plus que par vocation. « Je ne savais même pas dessiner », reconnaît celui qui doit son admission à un 20/20 en dissertation et un coup de pouce du directeur à l’épreuve orale. Est-ce le hasard qui trace la voie d’une vie ? Cette question sera omniprésente dans l’œuvre de Pierre Gaucher. Il utilise l’écriture et le métal comme une manière de « lutter contre l’effacement ». Que ce soient des lettres frappées sur une tôle fine ou découpées au laser dans une tôle épaisse, une part importante du travail de ce Strasbourgeois d’adoption repose sur l’écriture avec des textes qui interpellent. Geneviève Jeandon, directrice du Centre Jacques Brel de Thionville (57), dit de lui « son approche des mots traduits l’amour qu’il leur porte, et se révèle à travers des jeux de dés qu’il nous invite à lancer pour nous confier que lui, il est un homme heureux ». En étroite collaboration avec Jean-Marc Speich, dirigeant de la métallerie Esca Steel à Hindisheim (67), il conçoit des œuvres qui font parfois office de cloisons, de mobilier, de gloriette, de garde-corps et de portails. Une démarche proche de l’Art Nouveau dans laquelle artistes et artisans joignaient leurs savoir-faire. Mais la comparaison s’arrête là. Pierre Gaucher n’est attaché qu’au métal, les autres matériaux ne lui parlent pas et il ne cherche pas nécessairement à donner un sens « décoratif ».
Métal Flash Comment vous est venue cette attirance pour l’acier et le fer ?
Pierre Gaucher L’institution des Arts Déco de Strasbourg s’inscrivait dans la tradition des enseignements allemands qui veut que l’on touche à tous les matériaux et à toutes les techniques. Nous apprenions à maîtriser les techniques et non à devenir des artistes. Quand je suis entré dans l’atelier métal, j’ai eu un choc. Ça a été comme une électrocution. Le son, l’odeur, la poussière, la pénombre particulière des forges, tout m’allait. Dès les premières secondes je savais que j’étais ici chez moi. J’ai alors choisi l’option Ferronnerie avec Jean-Marie Krauth (ndlr : décédé en août 2020) comme formateur. Il n’était pas artiste à la base et se prédestinait à la serrurerie. Bien que mes relations aient été parfois difficiles avec lui, cet homme nous a transmis la compréhension du matériau.
M F Quels ont été vos premiers pas en sortant de l’école ?
P G J’ai démarré la création avec une exposition à Saint-Dié-des-Vosges (88) en 1984. La ville avait financé le catalogue que j’ai envoyé à une vingtaine d’architectes dont trois m’ont contacté ce qui m’a permis de travailler dans le cadre du 1 % artistique. J’ai eu aussitôt trois commandes dont celle de la grille du Caran des Archives nationales à Paris avec l’architecte Stanislas Fiszer. C’est à ce moment que j’ai entamé une collaboration avec la métallerie Schaffner. Car, pour réaliser plus de 100 ml de grille, il me fallait l’aide et les moyens techniques que je n’avais pas. J’ai mis au point mon travail de conception en vue d’une réalisation par des artisans qui maîtrisent le métier et disposent des outils adéquats. C’est comparable avec ce que faisaient les maîtres autrefois qui concevaient alors que d’autres réalisaient. J’ai conçu la grille des Archives nationales et, ponctuellement, j’y ai réalisé des détails dans l’atelier de Schaffner. Par la suite, j’ai entamé une collaboration avec le métallier Jean-Marc Speich (Esca Steel) qui a abouti à de nombreuses réalisations marquantes. Ensuite, j’ai décidé de ne plus avoir mon propre atelier. La relation amicale que j’entretiens avec Jean-Marc me permet d’avoir accès à son atelier quand j’en ai besoin et en général nous travaillons ensemble sur les projets. C’est enthousiasmant.
M F L’écriture est une constante dans votre travail, notamment sur des tôles fines.
P G J’ai eu très tôt envie de dire des choses, de communiquer de la poésie. Au départ je travaillais sur des cercles martelés. Puis sont arrivées les lettres, un passage de l’aléatoire vers un terrain cadré. Dans de nombreuses civilisations à des époques différentes, il y a eu la trace de l’écriture dans l’art, par exemple avec les enluminures. L’écriture est depuis longtemps traitée comme un élément de décor en Occident et en Orient. J’ai été plus précisément influencé par les livres sans chapitres ni renvois à la ligne de Thomas Bernard. Chaque page est un bloc de texte qui fait « une zone de gris ». Il demande une grande concentration pour le lire.
M F Comment procédez-vous ?
P G J’utilise en général des tôles d’acier d’1 mm d’épaisseur que je pose sur une feuille de 2 mm en plomb, de celle que l’on utilise pour isoler les fonds de douche. Ensuite je frappe les lettres l’une après l’autre. On lit le texte à l’envers en fait. C’est comme une cicatrice, une scarification sur la tôle. C’est de ce travail qu’est tiré le texte de « la culture de l’oubli » que j’utilise souvent dans mes autres réalisations. Ainsi « le chemin de réflexion » est une série de douze tôles, douze textes que je réutilise. C’est un processus assez long. Il s’agit d’une manière particulière d’écrire qui s’apparente à la taille dans la pierre. L’écriture est plus lourde de sens, car le geste est plus lourd. Comme pour tailler dans le granit, il y a un engagement physique. à l’opposé du langage publicitaire, celui-ci demande un effort de lecture.
Parcours
Pierre Gaucher est né en 1958 à Sarrebruck en Allemagne. Au gré des mutations de son père travaillant pour la Banque de France, il a vécu en Allemagne, au Maroc, en Normandie, dans les Vosges pour finalement s’enraciner à Strasbourg. Ancien élève des Arts Décoratifs de Strasbourg, il a appris les bases de la ferronnerie avec Jean-Marie Krauth. Plus tard il a repensé sa manière de travailler le métal à l’occasion de sa rencontre avec l’association « Toutomarto » et du formateur Claude Duteil influencé par les techniques de Uri Hofi. Pierre Gaucher a participé à des dizaines d’expositions dont celle « Les métiers d’art se mettent en scène », au Palais de Tokyo à Paris en 2013.
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