Des pans entiers de ce qui faisait partie de l’activité du métallier peuvent aujourd’hui être externalisés. À l’inverse, des domaines jadis systématiquement sous-traités entrent progressivement dans les ateliers. Quelle est la voie à suivre ?

Faire ou faire faire ?

Que faudrait-il sous-traiter à la production et pourquoi ? Est-ce par manque de compétences en interne, par manque de temps ou d’effectifs ? Est-ce pour répondre ponctuellement à une hausse de la demande ou est-ce pour dégager définitivement un travail que l’on ne veut plus (peut plus) faire dans l’atelier ? Aujourd’hui, bien plus qu’il y a une vingtaine d’années, la question de la sous-traitance de tout ou d’une partie de sa production se pose comme une problématique essentielle dans l’activité d’une métallerie. Peu importe la taille de la structure et peu importe sa situation géographique. L’enjeu n’est plus seulement de savoir s’il s’agit de trouver ailleurs un prestataire « moins cher », mais bien de réfléchir au positionnement à moyen et long termes de son entreprise. Alors existe-t-il une stratégie type à appliquer en métallerie ? Assurément non. D’ailleurs les vérités d’il y a vingt ans ont perdu de leur pertinence, voire elles peuvent paraître obsolète. Il n’y a pas de logique universelle, seulement des cas particuliers, à l’image de la multitude de typologies d’entreprises qui existent dans ce secteur atypique du BTP. Certains peuvent vouloir tout intégrer alors qu’ils ont foison de prestataires autour d’eux, d’autres vont (au risque de perdre leur qualification Qualibat…) faire faire ailleurs tous leurs ouvrages alors qu’ils sont situés loin de tout en pleine campagne… En 2002, Bernard Delorme, alors dirigeant de l’entreprise Sam+ à Morangis (91), nous expliquait que « la sous-traitance est une manière de créer une zone tampon pour lisser les pics d’activité. Au moment d’une baisse de la conjoncture on réintègre dans l’entreprise une partie des travaux sous-traités et cela permet de voir venir avec plus de sérénité la suite des événements ».

Or, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée a rebattu les cartes sur l’approche de la sous-traitance. Elle a d’un côté stimulé l’acquisition de machines automatiques ou semi-automatiques et en même temps fait sortir des pans entiers d’activité des ateliers de métallerie.

Pénurie de main-d’œuvre et automatisation

On pense tout de suite au segment sur la menuiserie acier, par exemple. C’est ce qui explique le succès fulgurant d’industriels spécialisés dans la fabrication des menuiseries acier avec soit une seule gamme, soit plusieurs. Ces derniers ont largement « taylorisé » leurs unités de production. Ce ne sont pas des métalliers qui débitent, assemblent, soudent et meulent mais du personnel qui a été formé et dédié à une seule tâche. Ils ne font que ça toute la journée… C’est logiquement plus économique, plus rapide et ne laisse que peu de place au risque d’erreur. La polyvalence des équipes qui fait la force de tant de TPE et PME de métallerie est dure à maintenir dans un contexte de pénurie de compétences. Avoir chez soi un compagnon capable de fabriquer un escalier hélicoïdal avec autant d’aisance qu’une menuiserie acier est devenu une rareté…

Lucenet.jpg
© Pyc
La métallerie Lucenet a embauché son prestataire en peinture.

C’était sous-traité, ça l’est moins…

Traitements de surface et peinture. Ne parlons pas de la galvanisation, elle n’entrera jamais dans le process du métallier (ni même du charpentier) tant l’investissement de départ est colossal. La métallisation et la peinture en revanche ça se discute. Il y a vingt ans, sans aucune hésitation, il était évident que cela relevait de la sous-traitance auprès d’un prestataire thermolaqueur. « C’est un métier à part entière, une affaire de spécialiste », disait-on. Stéphane Coquet, codirigeant d’Arts & Forges à Troyes (10) partage toujours cette analyse. « C’est un métier technique qui reste une affaire de spécialistes et qui a de fortes contraintes environnementales notamment ». Arts & Forges a l’avantage d’avoir quatre sociétés de thermolaquage dans un rayon de moins de 30 km, ça change tout…

Aujourd’hui nous notons que deux critères ont ébréché cette approche : la qualité et le délai. Il faut pouvoir livrer vite avec une qualité irréprochable. Sous-entendu l’aller-retour entre l’entreprise et le peintre, même à proximité, augmente le délai et crée potentiellement un risque de rayure ou autre sur les pièces laquées. Notamment au moment de l’emballage et du déballage. L’entreprise Carré, à côté de Toulouse, a non seulement intégré le thermolaquage mais a créé sa propre société d’application : les Polisseurs Réunis. « Nous contrôlons la qualité de la peinture et maîtrisons les délais. Cette équipe travaille dans un temps extrêmement court, en moins d’une journée parfois elle arrive à livrer toutes les filiales du groupe Carré. 30 % de son CA est désormais réalisé avec des clients extérieurs, principalement des artisans de la région qui travaillent pour des particuliers. Aussi, nos thermolaqueurs savent répondre à des demandes spécifiques », explique Pascal Manzano, DG de Carré SA. Cerise sur le gâteau, Les Polisseurs Réunis sont labélisés Qualisteelcoat, un label de qualité dont se prévalent à peine une vingtaine de thermolaqueurs en France… Dans un autre style, il y a la métallerie Dessenne à Bohain-en-Vermandois (02). C’est à la campagne, il n’y a pas de peintre à proximité. En revanche des usines vides datant du début du siècle dernier, ça n’est pas ce qui manque ici. Xavier Dessenne, codirigeant, a investi 500 000 euros dans une ligne de thermolaquage attenante à son atelier et réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 300 000 euros de sous-traitance pour les industriels et les artisans de la région. C’est pas mal tout de même… On pourrait aussi citer la métallerie Lucenet à Toulon-sur-Arroux (71). Elle a embauché le peintre qui réalisait habituellement les travaux de peinture après son dépôt de bilan. Il est devenu salarié et toute son installation de peinture liquide a été déménagée dans l’entreprise de métallerie qui avait la place disponible. Enfin dans le genre astucieux il y a l’exemple de la Serrurerie Roguet à Saint-Pierre en Faucigny (74). Après son déménagement dans de nouveaux locaux et sachant qu’il y avait un atelier attenant vide, elle a lancé un appel pour y accueillir un peintre en lui assurant un bon volume d’activité. Véronique Roguet la dirigeante dispose ainsi d’une réactivité et d’une maîtrise du contrôle qualité sans avoir à en supporter la charge… On le voit bien, sur un volet jadis quasi intégralement sous-traité, des situations nouvelles ont fait leur chemin chez les métalliers.

La découpe laser. Il y a vingt ans on comptait sur les doigts d’une seule main les entreprises de métallerie ayant fait l’acquisition d’une machine de découpe laser. Aujourd’hui on ne les compte plus. Il en va de même pour les tables plasma et pour les installations de découpe au jet d’eau. Or, ici le tissu économique environnant joue pleinement son rôle. Chez Dessenne, il y a depuis à peine deux ans un laser fibre Amada. Il a la place et manque de prestataires aux alentours. À l’inverse, chez Metalmade, à Saint-Nazaire, un tel investissement serait totalement vain. Cédric David, le dirigeant a sous la main une multitude de prestataires tous plus performants et compétitifs les uns que les autres sachant qu’ils travaillent autant pour le site Airbus que pour le chantier naval. Cette activité de découpe largement sous-traitée tend ainsi, selon les cas de figure, à être intégrée aux ateliers de métallerie.

Débit et perçage. Là on touche du doigt la base du métier. Bien avant de savoir souder, on apprend à couper à la scie et à percer à la perceuse. Peut-on imaginer un atelier sans scie ni perceuse ? Certains pensent que oui. « Je préfère qu’un ouvrier qualifié passe du temps à assembler un ouvrage qui nécessite du savoir-faire qu’à rester des heures devant une scie à ruban ou derrière une perceuse à colonne », nous dit Pascal Manzano. Même son de cloche chez Duval Métalu au Mans (72). Grégory Peyramayou, son nouveau dirigeant, ne jure que par le centre d’usinage relié au bureau d’études. Selon lui « faire le débit et le perçage à la main est archaïque ». Alors, soit les profils, les tubes et les tôles sont débités avec précision chez un prestataire (lasériste entre autres) soit on intègre un centre d’usinage de dernière génération. Ça n’est pas encore généralisé, mais la tendance semble se dessiner dans ce sens…

ThermolaquageDessenne.jpg
© Pyc
L'entreprise Dessenne avait largement la place pour créer sa ligne de thermolaquage.

Devenir sous-traitant pour les autres

Sur la question de la menuiserie acier il est intéressant de noter que bon nombre de métalliers décident de muscler leur atelier en vue d’une activité de sous-traitance pour les confrères. C’est, par exemple, le cas chez Arts & Forges dans l’Aube qui a choisi d’ouvrir un troisième atelier uniquement dédié à ce segment. « Beaucoup de métalliers de la région ont arrêté l’activité acier faute de main-d’œuvre. Ils font de la conception et gardent souvent une activité aluminium. Ils perdent la culture acier. Nous en tirons profit et 15 % de notre chiffre d’affaires tient à ces travaux que nous réalisons pour ces confrères ». L’atout d’Arts & Forges par rapport aux « industriels de la métallerie » c’est là encore le délai et la proximité : « nous sommes à quinze jours livrés sur chantier contre huit semaines pour les industriels ».

Decoupelasertube.JPG
© Pyc
Exemple de débit perçage réalisé sur un laser tube par un sous-traitant pour une métallerie.

Connaître son cœur de métier

Alors quels conseils peut-on apporter aux dirigeants sur cette question ? « Qu’ils sachent surtout quel est leur cœur de métier et où ils veulent aller. Quel est leur savoir-faire et pourquoi ils veulent sous-traiter. Un pic de charge ça n’est pas pareil qu’une sous-traitance de compétence », insiste Pascal Manzano. Celui-ci rappelle que parmi les freins à la démarche il y a la « disponibilité des sous-traitants ». Ils peuvent être en surcharge tout comme ils peuvent aussi souffrir d’un manque de main-d’œuvre qualifiée. C’est notamment le cas pour la sous-traitance de pose. Quand il s’agit de poser des centaines de menuiseries aluminium ou des garde-corps dans un bâtiment neuf, ça se trouve aisément. Pour un escalier ou une rampe dans un bâtiment existant c’est moins vrai… Autre critère à prendre en considération : le temps. « Engager une démarche de sous-traitance demande du temps. Il faut savoir l’anticiper. S’y prendre au dernier moment est nécessairement un choix perdant », explique le directeur général de Carré SA dont 25 % du chiffre d’affaires est sous-traité. Consulter plusieurs fournisseurs pour chacune des prestations peut être considéré comme une nécessité. Cela impose inévitablement un changement dans sa stratégie d’achat. D’ailleurs, c’est peut-être par-là que tout devrait démarrer. Par l’embauche d’une personne dédiée aux achats…

Sous-traitance et perte de qualification

L’Union des métalliers a reçu par le Conseil des professions, une liste de travaux considérés comme « hors spécialités ». Pour la classe 44 de la nomenclature Qualibat, il est considéré comme d’usage de sous-traiter : les cloisons métalliques, les vitrages dits « sans mastic », les bardages, la fourniture ou fabrication puis la pose de menuiseries en alliages légers, la fourniture et pose de menuiseries en matériaux de synthèse, la mise en œuvre de matériaux et produits contribuant à l’isolation thermique… quelques exemples. Cette liste servira à apprécier par Qualibat si l’entreprise qui sollicite une qualification, ne dépasse pas un taux de sous-traitance qui a été défini pour l’ensemble des professions à 30 % de son chiffre d’affaires annuel. Pour faire en sorte que l’on ne dépasse pas ces 30 % il y a la possibilité de sortir du CA sur ce que l’on externalise. Ces travaux ne sont donc pas examinés par la commission des attributions de Qualibat.