La passion durable du corten
Jamais un alliage métallique n’aura suscité autant de passion dans la construction. Même l’acier inoxydable en a pris un coup au moral. Les architectes ont « la rouille » dans la peau… Depuis une trentaine d’années l’engouement pour le « corten » ne se dément plus. Nous observons même une forme de démocratisation du matériau depuis que cet acier allié, entre autres, au cuivre et au chrome, se trouve dans les bordures de jardins et les jardinières. Aussi les sculptures monumentales dans les villes ont participé à l’accoutumance du public aux surfaces oxydées jadis tant décriées. Le nom Cor-Ten, datant de 1932, est une marque du sidérurgiste US Steel qui s’est imposée naturellement. C’est devenu un terme générique. Il sonne bien mieux que les termes acier autopatinable que les bonnes règles de l’écriture voudraient nous imposer. Dans Métal Flash nous nous accordons la liberté d’utiliser alternativement les deux… Mais alors pourquoi cet engouement ? Qu’est-ce qui explique ce basculement du support lisse inaltérable à la matière rugueuse et évolutive ?
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Lors de l'exposition de Christian Boltanski au Grand Palais à Paris en 2013, l'artiste a installé ce mur corrodé comme une interrogation sur l'usure engendrée par le temps. /La totalité des décors du festival Hellfest est d'aspect rouillé. Or, seule la croix à l'entrée de l'espace VIP est effectivement en corten.
Les raisons de l’engouement
Pascal Bonaud, nouveau délégué général de l’association ConstruirAcier avance une explication quasi scientifique. « C’est une question de longueur d’onde de couleur, dit-il. L’aspect rouille fait le lien entre le vert du végétal et le bleu du ciel. Ça se marie bien. C’est le même phénomène qui s’opère avec les tuiles en terre cuite. La brique apparente en façade tient ce rôle de couleur complémentaire. Le bois, en un certain sens aussi, même s’il vire au gris avec le temps… ». Admettons. Il doit y avoir d’autres raisons en plus de celle-ci. Son prédécesseur, Christophe Ménage évoque « une quête d’éternité ». Cet acier est décidément paradoxal : alors que la rouille annonce une désagrégation, le corten inspire la durabilité. Elsa Fantino, ferronnière, s’interroge avec amusement et malice : « Pourquoi les architectes n’aiment-ils pas une pièce d’acier ordinaire qui se corrode, mais sont-ils si fascinés par la patine du corten ? Je crois qu’ils n’aiment pas la rouille pas chère… ». D’autres évoquent un argument quasi écologique, alors que le matériau est évidemment une pure création humaine. « Le fait de ne pas avoir de revêtement chimique lui confère un caractère plus naturel et une intégration plus fluide dans un espace paysagé. Ses nuances plus ou moins foncées et non monochromes y sont pour beaucoup », explique Pascal Cassien, artisan métallier. Son confrère Sébastien Sire évoque avec pragmatisme trois raisons qui expliqueraient l’enthousiasme des donneurs d’ordres : « La première est que l’on reste sur un matériau brut qui se patine avec le temps. La seconde est que la mise en œuvre est identique à celle de l’acier courant. Et la troisième est économique. La pérennité des ouvrages qui vieillissent bien au cours des décennies ».
Le rapport au temps est une préoccupation constante chez les architectes. Le bâtiment est amené à leur survivre. Or, dans le cas de l’acier autopatinable nombreux sont les ouvrages d’art (ponts et passerelles) construits dans les années trente qui sont encore debout aujourd’hui sans avoir connu d’entretien particulier. De fait, l’argument écologique du zéro peinture ou vernis, est au moins aussi pertinent que l’esthétique pour expliquer son succès. Certains parlent de poésie. C’est le cas de Laurent Milano, commercial pour Jansen chez le distributeur Descasystem : « Il y a beaucoup de poésie dans l’utilisation du corten. Il évolue en fonction de son exposition, il surprend quelques fois car sa teinte n’est pas facilement maîtrisable. Le matériau exprime une forme de liberté dans un monde devenu rigide ». Tous les arguments évoqués font de ce matériau un produit à part. Quasiment un matériau « vivant », à l’image du bois.
Au départ il y avait les wagons
Pourtant son invention n’avait rien de poétique. Cet acier faiblement allié au cuivre, au nickel et au chrome a été inventé aux USA pour remplacer le bois des wagons de marchandises. Sa faculté à s’autoprotéger en s’imperméabilisant sans le moindre entretien ni la moindre couche de produit de protection a nécessairement séduit les acteurs du transport ferroviaire. Plus tard en mer, les containers ont été fabriqués avec ce matériau. Bien qu’ils soient peints aux couleurs des sociétés de transport, ils sont de ce métal. L’architecture métallique s’y est donc aussi intéressée pour cette question de faible entretien. En France, l’exemple emblématique est la Tour Pleyel, dont la structure a pourtant subi un vieillissement anormal… Aux USA c’est le siège de la société John Deere qui a marqué les esprits. Ce bâtiment a été construit en 1963 selon les plans de l’architecte Eero Saarinen et reste encore à ce jour d’une remarquable modernité. S’en sont suivies avec plus ou moins de succès les glissières d’autoroute. Aujourd’hui les principales applications du corten se trouvent dans l’enveloppe des bâtiments et la réalisation d’œuvres monumentales.
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Le bâtiment Île Rouge à Nantes par l'agence Format 6 est entièrement enveloppé de métal déployé en corten. /Une œuvre de l'artiste Manolo Valdes exposée au château de Chambord en 2010. /Extension du centre hospitalier de Fourmies (59).
Des précautions s’imposent
Pour les métalliers c’est là un terrain intéressant d’activité. L’acier autopatinable requiert cependant des précautions, en ce sens il est comparable au travail de l’Inox. Quel que soit le fournisseur ArcelorMittal, Dillinger, SSAB, US Steel… ils sont supposés répondre à la norme NF EN 10025-5. Cependant, il peut y avoir des variations dans la teneur en cuivre et en carbone. Un distributeur tel que Eurokorten en Alsace a accès aux différentes nuances disponibles. La disponibilité est justement une des précautions à prendre en considération. Pascal Bonaud explique que « l’autopatinable n’est pas tellement plus cher que l’acier courant, il est surtout cher en temps d’attente »… S’engager dans un projet important impose donc de se lancer préalablement dans une recherche de la matière qui peut, selon les dimensions et les épaisseurs demandées, être relativement long. Autre précaution de base : réserver des outils et un espace dédié dans l’atelier comme on le ferait pour l’acier inoxydable. Une attention extrême doit être portée à la conception. Éviter les rétentions d’eau par exemple. L’eau peut circuler sur le matériau, mais ne doit pas stagner. Pour le soudage, là encore comme pour l’Inox, il faut utiliser des électrodes et du fil dédiés. À la manipulation des tôles il faut éviter les traces de gras et il est recommandé de grenailler l’ouvrage avant l’installation en extérieur afin d’avoir un développement homogène de la patine. Cela vaut notamment pour les tôles épaisses laminées à chaud qui comprennent une couche de calamine retardant l’apparition de la patine. Ça n’est pas le cas des tôles de 1 à 3 mm laminées à froid. Le bon sens voudrait aussi que l’on évite les environnements agressifs tels que les bords de mer ou les zones à forte pollution atmosphérique.
Ne pas en faire trop ?
Si le matériau est désormais plébiscité dans les aménagements paysagers, qu’il continue de progresser dans les enveloppes de certains bâtiments, qu’ils trouvent des débouchés dans les portails et même, plus rarement, dans la menuiserie, se pose la question de l’effet de mode. Est-ce une tendance durable ou est-ce une manière de participer au mouvement général des matériaux dits « plus écologiques » ? L’avenir le dira. Les qualités intrinsèques de l’acier patinable seront toujours des arguments solides à mettre en avant. Reste à garder raison et à veiller à ne pas « en faire trop ». À la question de savoir si l’excès de corten nuit, la réponse est oui, assurément. L’exemple du musée Soulages à Rodez par l’agence RCR sera toujours une exception. L’acier patiné est de ces matériaux qui se révèlent par contraste aux autres. Notamment avec l’acier inoxydable…
Les 6 règles d’usage du Corten
1 Cycle humide et sec. Pour que l’effet « fonctionne », il faut impérativement qu’il y ait un cycle humide qui précède un cycle sec. Une pièce en corten non patiné installé dans un désert aride ne se patinera pas. En intérieur ça ne se patine pas non plus. Lorsque l’on laisse la patine se créer à l’extérieur, il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas un dépôt de feuilles, par exemple. Ça marquerait inévitablement le métal. Certains architectes peuvent aimer justement qu’il y ait des motifs. Ça se tente, mais il faut avoir du temps…
2 Contrôle des eaux pluviales, il faut veiller autant que possible à récupérer les eaux de ruissellement qui peuvent salir la pierre au sol, via un chéneau par exemple.
3 Grenailler après avoir fabriqué l’ouvrage. Une fois que les soudures sont faites, le grenaillage gomme les traces de gras, des mains et enlève les traces de calamine. La grenaille donne un aspect plus net et plus régulier à la patine.
4 Éviter la rétention d’eau. Il faut toujours que l’eau coule, qu’elle ne stagne pas. Cette erreur arrive aux meilleurs : au café Bras attenant au musée Soulages de Rodez, les tôles de corten ont au moins 20 mm dans le bassin décoratif qui ceinture le bâtiment. Résultat : une accélération de la corrosion, c’est-à-dire l’effet inverse de ce que l’on attend du matériau.
5 Anticiper la perte de matière. Ça n’est pas parce qu’il se protège de la corrosion qu’il ne perd pas de matière. Les calculs existent et il est facile de se donner un peu de marge. Mais il faut y penser…
6 Compatibilité métallurgique. Souder avec du fil et des électrodes adaptés est une évidence. Le distributeur Eurokorten connaît parfaitement les bonnes références de métal d’apport. Veiller aussi à respecter le couple galvanique. Corten et Inox ça se passe bien, mais pas la galvanisation avec Corten. Le corten a les mêmes compatibilités que l’Inox. Une vis électrozinguée peut en quelques semaines être entièrement détruite par le couple galvanique.
Cabinet vétérinaire à Venarey-les-Laumes (21)
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Pour ce petit village de Côte d’Or, l’architecte Raphaël Campagnari a réalisé avec Maguelone Montanié un cabinet de vétérinaires atypique, du moins extérieurement. Il n’est pas recommandé d’associer galvanisation et corten, or ici les deux matériaux sont en décalage. La découpe au laser des animaux dans une tôle corten se superpose en minimisant les contacts avec le métal déployé galvanisé qui fait office de paravent et de brise-soleil.
Immeuble Ferrum 1 à Saint-Pétersbourg
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L’agence allemande d’architecture Tchoban Voss a réalisé ce bâtiment tertiaire à Saint-Pétersbourg. Le Ferrum 1 se caractérise par cette étonnante façade qui semble être faite de métal rouillé et tissé comme dans une vannerie. C’est une première en Russie. Les architectes ont souhaité rappeler la vocation industrielle de ce quartier. Il s’agit de bandes de tôles de 1 200 mm de large qui ont été formées et accrochées sur l’ossature en béton armé du bâtiment et devant une isolation thermique de 150 mm d’épaisseur.