Il y a vingt ans, les entreprises de métallerie ayant un bureau d’études intégré étaient largement minoritaires. Le mot d’ordre était alors, « musclez vos études pour valoriser votre savoir-faire ! » Sous-entendu, même avec les meilleures équipes de fabrication et de pose, si l’on est tributaire d’un prestataire pour étudier le projet, on est perdant. Comme les métalliers, et avant eux les serruriers, ont toujours gardé la main sur le dessin qui implique toujours une part d’études, le glissement vers la création d’un BE moderne dans les bureaux des entreprises s’est opéré assez naturellement. L’évolution a été nette. Selon une étude sectorielle de l’Union des métalliers, la proportion des entreprises ayant un BE est passée de 22 % en 2000 à 33 % en 2020. Elle était de moins de 10 % dans les années quatre-vingt-dix. Des dessinateurs, des chiffreurs, des ingénieurs sont venus grossir les rangs des effectifs armés d’outils logiciels performants (et coûteux). Le résultat est clair : la profession doit une part considérable de son activité à sa capacité à étudier, formaliser, fabriquer et poser des ouvrages uniques et plus ou moins complexes. C’était donc la bonne voie à prendre il y a vingt ans. Reste qu’il y a un hic… Car aujourd’hui ces mêmes entreprises ne s’estiment pas « payés en retour ». Nombre d’acteurs de la chaîne de construction, à commencer par les architectes eux-mêmes, et d’autres corps de métiers moins « outillés en informatique » ont vu dans l’évolution des métalliers une manière de se « reposer » sur eux et de leur confier une partie du travail qui leur incomberait. « Dans le prix de revient d’un projet, le ratio BE ne fait qu’augmenter. En revanche dans le prix final, ce ratio n’a pas augmenté », rappelle Jefferson Loison, responsable financier de la métallerie Loison à Armentières (59) et chef de file de la commission économique à l’Union des métalliers. Dans le contexte actuel de hausse des prix des matières premières, ces études sont devenues plus stratégiques que jamais.
Serge Buniazet, "les architectes attendent que nous fassions le travail du BE vu que nous sommes équipés avec des outils comparables".
Comment définir les études ?
La question est de savoir où commencent et où s’arrêtent les études ? Chiffrages, calculs, mise en plans, maquettes, prototypes, essais… « Une partie du problème repose sur la difficile délimitation du champ des études », souligne Jefferson Loison. Des chapitres entiers qui relèveraient de la compétence des maîtres d’œuvre ou de la synthèse atterrissent chez les métalliers. « Du moment que l’on a la signature sur le bon de commande, nous commençons les études. Car il y a beaucoup de corps de métiers qui viennent se greffer sur nos plans. Nous devons leur indiquer les réservations, les descentes de charges… En fait, dès le démarrage du chantier nous devons être là avec nos plans et ce jusqu’à la fin désormais », déplore Serge Buniazet, dirigeant de Perrier Constructeur à Decines Charpieu (69). Faut-il encore pouvoir définir la part des études dans les dépenses de l’entreprise. Dans certains cas cela peut représenter un tiers de la masse salariale, d’autres fois moins. Et il y a la question du décalage dans le temps qui peut engendrer des soucis de trésorerie. Les études qui démarrent en amont du projet, parfois en étroite collaboration avec l’architecte, alors que la pose dudit ouvrage n’a lieu que des mois plus tard… Serge Buniazet souligne le fait que « les architectes ont réduit le recours aux bureaux d’études externes sur beaucoup d’opérations. Ils attendent de nous que nous fassions ce travail vu que nous sommes équipés avec des outils et des logiciels comparables ». Des plans qui se sont sophistiqués et qui intègrent des quantités d’informations sur d’autres corps de métiers (isolation, bardage, aménagement intérieur…) avec des délais plus courts. Théoriquement, c’est au maître d’œuvre ou à une entreprise désignée de faire la synthèse, mais la pratique montre que c’est plus compliqué que cela. La cacophonie autour de cette question de synthèse peut engendrer des situations ubuesques dans lesquelles, par exemple, des fenêtres ne peuvent s’ouvrir complètement faute d’avoir prévu l’espace suffisant…
© Pyc
Les métalliers ont solidement étoffé leurs équipes du BE.
Comment en est-on arrivé là ?
La réduction des délais dans l’acte de construire a poussé à la digitalisation, c’est une évolution inéluctable. Là n’est pas forcément le problème. Ce qui est plus problématique est la baisse des compétences à tous les échelons. « Par manque de temps et de budget en amont, les projets manquent de définition. Tous ces sujets qui ne sont pas réglés en amont, se retrouvent forcément en aval. Conjugué aux problèmes de synthèse, le nombre d’indices de plans explose et ont un impact sur les délais », déplore Jefferson Loison. Ces dysfonctionnements nuisent à la fluidité des chantiers et détériorent autant les relations entre intervenants que les marges financières. Les métalliers sont disposés dans leur ensemble à assumer une part croissante d’études plus techniques dans leurs interventions. À conditions cependant qu’il y ait un budget pour mener à bien ce travail. « Il doit y avoir un dialogue avec les architectes qui ont tout à gagner dans un chantier qui se déroule bien », insiste Serge Buniazet. Il arrive que les architectes demandent au métallier de dessiner un escalier « juste pour voir ce que ça donne », or ça n’est pas leur travail. À moins qu’il y ait une commande dans ce sens. L’acier apporte des solutions précises qui, quand elles sont bien étudiées, font gagner un temps considérable sur les chantiers et évitent tout travail de reprise une fois posées. « Nous voudrions qu’il y ait systématiquement dans les DPGF (décomposition du prix global et forfaitaire) un poste réservé pour les études, notamment dans les marchés publics. Dans certains marchés privés cela existe déjà. Je pense que l’on peut être écouté sur ce sujet auprès des maîtres d’ouvrage comme des maîtres d’œuvre. Les deux ont intérêt à ce que les études soient clairement identifiées », note Serge Buniazet.