Demain les robots ?
Le vieillissement de la population, le départ à la retraite des baby-boomers et le contexte général de pénurie de main-d’œuvre sont pour les économies occidentales un problème majeur. Une partie de la réponse peut venir de l’immigration. Le Japon, pays réfractaire à l’immigration et très vieillissant, a opté d’une part pour la délocalisation de son industrie vers les pays du Sud-est asiatique et sur la robotisation. La Corée du Sud a suivi le mouvement et se trouve être aujourd’hui le pays le plus robotisé au monde (932 robots pour 10 000 salariés de l’industrie). La progression de ce marché est selon la Fédération internationale de la robotique (IFR) de l’ordre de 70 % depuis 2015 et concerne désormais aussi la Chine. Les secteurs ciblés sont l’industrie, la logistique et de manière croissante les services à la personne. Dans le domaine qui nous concerne, le bâtiment et plus spécialement la métallerie, la question revient régulièrement. On pense aux robots de soudures mais aussi aux aides sur chantiers, aux exosquelettes par exemple. Or, la robotisation y bute systématiquement sur les mêmes questions : quelles applications ? Quelles compétences internes ? Quelle rentabilité ?
Nous avons interrogé des dirigeants métalliers. À les lire, il semble qu’il y ait une évolution des mentalités et une acceptation plus grande sur le sujet.
« Sans l’assentiment du personnel, la machine restera sous sa housse »
© Pyc
Bertrand Génault, "il faut prendre en compte le morcellement d’une tache globale en diverses petites séries".
Je pense que la première question à se poser est celle de nos marchés, de la diversité des ouvrages à réaliser en de faibles quantités, de l’obligation d’adapter nos ouvrages aux supports du gros œuvre (et pas l’inverse), de prendre en compte le morcellement d’une tâche globale en diverses petites séries toutes différentes au niveau de leur fabrication, même si, sur le principe, elles étaient conçues pour être identiques.
La deuxième question est celle des personnels à affecter au pilotage de ces dispositifs, et de l’adhésion des compagnons de l’atelier comme du bureau d’études. Sans leur assentiment, la machine restera sous sa housse, et on trouvera plein de bonnes raisons de lui attribuer tous les défauts.
La troisième question est celle de la productivité réelle de ces machines sur des petites séries qui seront à réaliser peut-être en plusieurs petites cadences au lieu d’une seule grande (on attend souvent des cotes dimensionnelles retardant la globalisation de la commande…).
Et ce modèle de production en économie locale se heurte à deux autres tendances actuelles.
- l’achat en direct de produits industriels à des tarifs toujours plus bas.
- la délocalisation de la fabrication dans les pays de l’Est ou au Portugal.
Dans ce contexte, le robot est peut-être la solution, mais je n’en suis pas vraiment certain.
Bertrand Génault, Seraba à Ablis (78)
« Automatisation et digitalisation sont une forme de robotisation »
© Pyc
David-Alexandre Giraud, "je vois plutôt en assistance, une façon d’aider les salariés avec les exosquelettes".
Le constat est général dans le bâtiment : nous manquons cruellement de main-d’œuvre. À cela se pose une question : comment faire face ? La robotisation et au sens plus large, la digitalisation, est une des pistes qui a été mise en place dans l’industrie. Cette piste est soutenue actuellement par l’État à travers le plan « Industrie du Futur » (subventions accordées aux entreprises en période Covid). Chez Oriel nous en avons d’ailleurs bénéficié pour acquérir un banc d’usinage. Selon moi, l’automatisation et la digitalisation peuvent être assimilées à une forme de robotisation dans la mesure où elles limitent les tâches répétitives parfois contraignantes pour les compagnons. On y perd sans doute un peu du caractère artisanal du métier. Soit. Aussi la robotisation dans le bâtiment sous-entendrait de remplacer les hommes par des machines. Or je la vois plutôt en assistance, c’est-à-dire une façon d’aider les salariés notamment avec les exosquelettes. Il convient aussi de citer le développement des imprimantes 3D et des robots de peinture ou de grenaillage qui sont autant d’innovations rentrant progressivement sur le marché du bâtiment. Enfin, face au manque de bras, nous n’avons pas d’autres choix que de trouver des solutions. La robotisation comme la digitalisation sont des leviers qu’il faudra de toute façon intégrer un jour à l’image de ce qu’a fait l’industrie il y a déjà quelques décennies.
David-Alexandre Giraud, Sinfal-Oriel à Amphion-les-Bains (74)
« Un outil qui va accompagner le métallier plutôt que le remplacer »
La robotisation pourrait se développer dans un futur, plus ou moins proche, mais elle sera différente selon les entreprises. Elle demande des investissements importants, mais les banques financent relativement facilement ces installations et nous avons la chance d’avoir un pays et une instance européenne qui subventionnent ces installations, parfois généreusement (pour qui veut bien se charger de monter le dossier). Avoir un robot demande cependant d’avoir le temps et la compétence pour le programmer. Pour les charpentiers et les métalliers de taille importante qui s’apparentent à des industries, la robotisation est un levier de croissance, de productivité et de marge.
Mais cela suppose d’atteindre une taille critique pour « rentabiliser » les investissements.
Or, la métallerie reste un métier souvent artisanal et de sur-mesure. Les métalliers sont les spécialistes de l’adaptation. Ils trouveront cependant une réponse dans les cobots, un « petit » robot au service de l’opérateur et non de la production. Cet outil va faciliter la manutention, le positionnement des pièces et permettre de « soulager » le métallier, qui sera plus efficace, un outil qui va accompagner le métallier plutôt que le remplacer.
Plus globalement je pense que la robotisation finira par se généraliser plus par la contrainte que par l’opportunité financière. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée poussera à travailler différemment. Aussi, ne sous-estimons pas l’attractivité de ces technologies. Elles rendent un peu plus « sexy » notre filière auprès des jeunes générations. Stimuler l’attractivité des métiers manuels en réduisant leur pénibilité est un axe fort à soutenir. Rappelons que « robot » vient du tchèque « robota » qui signifie « travail, besogne, corvée ». Ainsi la mission du robot est de faire ce que nous humains, jugeons comme étant de la besogne ou la corvée. Cela laisse plus de temps à l’humain pour faire ce qu’il aime, à savoir créer.
Maxime Bonhomme, Bonhomme Construction à Montelier (26)
« La main de l’homme est toujours là pour paramétrer et vérifier »
© DR
Vincent Schaffner, "Pour livrer des ouvrages, lever des charges lourdes et éviter la manutention, le robot a toute sa place".
Je pense qu’à l’avenir le robot aura sa place dans nos ateliers. Pour autant, il ne fera que ce pour quoi il aura été programmé. Il ne laisse pas de place à l’improvisation ou au libre arbitre. Des tâches simples, comme décharger un camion, ranger des barres ou des tôles, débiter, même si aujourd’hui il existe déjà des chargeurs de tôles pour la découpe laser, seraient le terrain de jeu des robots. Pour le rangement et le nettoyage des ateliers il est pensable que le robot fasse mieux qu’un humain. Pour la découpe, l’usinage et le perçage, ça existe déjà. Mais la main de l’homme est toujours là pour paramétrer et vérifier si tout est bien fait. Ensuite, il y a les robots de soudure, mais pas pour toutes les soudures. Car certaines sont plus complexes que d’autres. Sur des ouvrages en série ou répétitifs c’est déjà possible. Moins pour de la pièce unique, car la programmation nécessitera trop de temps. Je doute que ce sera le cas pour le ponçage car nos matériaux ne sont jamais plats à 100 %, pas sûr qu’un robot puisse juger précisément sur ce qu’il faut faire. À la pose, il existe les exosquelettes pour éviter de forcer. Pour livrer des ouvrages dans des étages, pour lever des charges lourdes et éviter la manutention, le robot a toute sa place. Il saura faire la préparation des pièces, mais pour le montage et l’assemblage, l’homme aura toujours sa place, surtout sur des pièces uniques. Sur de la série ou de l’ouvrage répétitif, comme des garde-corps, des châssis, c’est moins sûr. Entre l’aluminium et l’acier il y aura aussi une différence, car pour monter un châssis en alu, il faut quand même moins de savoir-faire que pour un châssis en acier.
Vincent Schaffner, Métallerie Schaffner à Duppigheim-Molsheim (67)