La « Manu » n’évoquera rien, ou pas grand-chose, aux moins de cinquante ans. C’est ainsi que l’on désignait non sans une certaine tendresse, l’entreprise Manufrance. Créée en 1864, cette entreprise était devenue une institution, un fragment du patrimoine populaire français. Ce qui a été une cité industrielle à elle seule, fabriquait armes, vélos, machines à coudre, articles de pêche et de loisirs. Avoir un fusil de chasse et un vélo de la « Manu » était quasiment une évidence pour les membres de la classe ouvrière et moyenne française de l’après-guerre. La marque était d’autant plus connue qu’elle avait aussi une activité de vente par correspondance avec à l’appui un catalogue imprimé à des millions d’exemplaires au même titre que Le Chasseur Français, son magazine phare. C’était également une industrie de la mécanique fine et de la métallurgie. Un creuset de savoir-faire inestimable et irremplaçable notamment en matière de développement d’alliages métalliques et de leur usinage. C’est dire combien le choc fut considérable bien au-delà des monts du Forez quand le tribunal de commerce de Saint-Étienne prononça en 1980 son dépôt de bilan. C’est une page de l’industrie française qui fut tournée ; une maison avec 2 000 employés avait fermé ses portes. Restent aujourd’hui les bâtiments de ce qui jadis fit la fierté de toute une région, voire d’un pays. « Et nos copeaux bleutés finiront chez Cardin », chantait en 1977 le stéphanois Bernard Lavilliers. Il avait vu juste. Le site de Manufrance ne voit plus guère passer les ouvriers, mais plutôt des chercheurs, des étudiants et des professionnels du design.
© Sophie Oddo
Trois niveaux dans un rectangle existant
Il est intéressant de constater que c’est l’atelier des Forges, l’endroit d’où sortait la matière première qui a été le dernier bâtiment à être restauré et réinventé. Cet édifice de 135 m de long et 22 m de profondeur est une des ailes principales de l’ancienne manufacture d’armes qui s’étend sur 12 hectares. « Conçue dans l’esprit des architectures rationalistes du XVIIIe siècle telles que les Salines de Claude Nicolas Ledoux ou du Grand-Hornu près de Mons, la manufacture est un « palais » industriel et militaire composé bourgeoisement de pierres blanches et de briques rouges. Elle incarne l’idéal esthétique d’une époque enivrée par les fortunes générées par la révolution industrielle », lit-on dans le dossier de présentation de l’agence K Architectures. Cette dernière a eu pour mission de transformer ce bâtiment, après trois décennies d’abandon, en CSI (Centre des savoirs pour l’innovation). La contrainte était claire : le programme est nettement plus volumineux que le bâtiment existant. « Un tiers des surfaces demandées débordait de ses volumes capables », précisent les architectes. Il a donc fallu créer des niveaux. Seuls ont été gardés les quatre murs de façade en maçonnerie d’une épaisseur de 60 cm. La contrainte maximale aura donc été de construire à l’intérieur de ce cadre fragile sans l’ébrécher. « Nous avons utilisé les murs de façade comme un bardage avec lequel il fallait conjuguer », explique Aline Royer, architecte de l’agence K Architecture.
© Sophie Oddo
Ossatures béton, bois et acier
À l’intérieur du rectangle ont été édifiés une ossature en poteau-poutre béton, des planchers et une dalle en béton. Il n’y a pas de sous-sol. Un MOB (mur à ossature bois) a été glissé entre cette structure béton et la façade historique avec déjà les menuiseries aluminium (gamme Schüco FWS 50 OB) fixées dessus. C’est en somme un mix détonnant de construction sèche en préfabrication avec de la construction humide traditionnelle et un existant classé… « Couler du béton le long de la façade ancienne n’aurait pas été sensé », rappelle Aline Royer. C’est l’entreprise Blanchet de Montbrison (42) qui a eu à réaliser cette façade sur bois. Le groupe dirigé par Jacques Blanchet a aussi réalisé l’ossature métallique qui constitue le R+2, la surélévation. Cette partie largement vitrée est rythmée tous les 600 mm par des lames fixes de 30 cm de profondeur en Corten qui font office de brise-soleil. Sachant que la façade principale est plein Est, ces lames ont un rôle avant tout esthétique. Il aura cependant fallu les faire patiner en plein air à Montbrison avant la pose méticuleuse sur l’ossature métallique. L’autre contrainte de taille pour l’entreprise de métallerie a consisté à prendre toutes les côtes au scanner laser (modèle Scan 3d de Trimble).
Le résultat final est une construction baignée de lumière naturelle et profitant de belles hauteurs sous plafond. Les architectes y vont même de leur inspiration poétique pour décrire l’objet : « Le volume bâti en extension a été dessiné comme une abstraction de verrière avec un métal prépatiné atemporel. L’objet se matérialise par une répétition systématique de bandes verticales alternant verre et métal ». Nous n’aurions pas pu le dire aussi bien…
Maître d’ouvrage : Université Jean Monnet et Epase
Maître d’œuvre : K Architecture, AIA Life Designers, ITAC
Métallerie : Groupe Blanchet
Budget : 16,2 millions d’euros
Surfaces : 7 235 m2
Quel est l’objet du CSI ?
Le CSI a vocation à rassembler sur un même campus toutes les compétences interdisciplinaires en formation et en recherche de l’université Jean Monnet autour de l’Innovation. Il accueillera près de 900 personnes, étudiants, doctorants, enseignants chercheurs, chercheurs et personnels administratifs. Véritable lieu d’hybridation et de synergies, le CSI sera dédié à l’Innovation créant les conditions de collaboration au sein d’un écosystème intégrant formations de haut niveau, activités de recherche de rayonnement international, grande capacité d’expérimentation et forte culture de l’entreprenariat. Cette dynamique d’innovation au-delà de l’université irriguera l’ensemble du territoire. Le CSI développe trois pôles fonctionnels : un pôle ressources et services documentaires (Learning Center), un pôle enseignement et un pôle innovation. Ces trois polarités s’articulent autour d’une zone publique dénommée l’agora.