Polyglotte et touche à tout, Arik Levy, est un artiste et designer mondialement reconnu. Qu’il travaille sur un nouveau robinet, une chaise ou une sculpture monumentale, il explore avec passion les limites et les possibilités des matériaux. Il a accordé un entretien exclusif à Métal Flash.

Entretien exclusif avec Arik Levy

Métal Flash : Quelle est votre relation au métal ?

Arik Levy : J’aime ses différents états. Certains matériaux sont à la fois souples et rigides, avec une image à la fois dure et sensuelle, c’est cette variabilité qui m’intéresse dans le métal. Viennent ensuite les finitions et les patines qui peuvent aussi donner une autre présence à la matière. Je pense, par exemple, à l’Inox poli miroir. Cette finition propose un reflet de nous-même. L’objet devient réflecteur et transparent tout en étant solide et quasiment inaltérable. D’une façon générale, le métal a son ADN, si on le comprend, on peut faire des choses extraordinaires. C’est fascinant.

M F : Justement, depuis une décennie, le poli miroir est à la mode. Est-ce une facilité ?

A L : Non pas du tout, bien au contraire. L’objet réfléchissant est une énorme contrainte. Si l’objet n’est pas maîtrisé sur le plan créatif et technique, on le perd. La prise de risque avec le poli miroir est considérable. Il peut arriver que l’on termine la pièce, qu’elle est polie et puis nous nous rendons compte qu’elle ne tient pas la route… Le reflet peut être tellement fort que ça ne dialogue pas. Aussi, nous ne cherchons pas l’effet de mode. C’est nous qui faisons la mode. Nous artistes et designers, imaginons que le reste du monde nous suive, et non l’inverse…

M F : Votre sculpture Rockgrowth Hermitage de Moscou fait 20 m de haut. Il y a là une accumulation de risques. Comment envisage-t-on une œuvre pareille ?

A L : Le dialogue avec les entreprises qui réalisent pour nous ces œuvres est nécessairement étroit d’autant plus quand il s’agit d’œuvres monumentales. Sur l’œuvre de Moscou ça fait six ans que nous travaillons ensemble avec la société Arnold en Allemagne. Elle est de la taille d’un bâtiment ou un navire. Il faut savoir qu’à Moscou, les écarts de température vont de - 45 à + 45 °C. Ce sont des conditions extrêmes pour le métal qui forcément réagit avec ces variations. Les études mêlent de l’ingénierie poussée, de l’expérience et de l’intuition. La contrainte de l’endroit où sera exposée l’œuvre est à prendre en compte avec beaucoup attention. Cependant, le grand avantage du métal est qu’il est prévisible, la matière est référencée avec précision. Ça n’est pas le cas avec le bois qui a des variations imprévisibles. Malgré cela, pour Moscou il a fallu extruder des lames spéciales de 16 x 4 m avec 20 mm d’épaisseur. C’était une production spéciale extrêmement contraignante quand on demande 150 tonnes à une usine qui produit habituellement 4 000 tonnes par jour. C’est un challenge énorme. Ensuite, il faut arriver à obtenir la qualité de surface attendue… Compte tenu des dimensions et de la géométrie de l’œuvre, il nous a fallu inventer des machines de polissage particulières pour cette sculpture.

M F : Comment choisit-on l’entreprise pour réaliser une œuvre ?

A L : Il y a une part d’intuition qui passe par la relation humaine. Je ne sais pas faire faire un travail par quelqu’un que je n’apprécie pas. Il doit y avoir un lien personnel. Certains artisans deviennent des amis, il y a une confiance qui s’installe. Ça peut prendre quelques années pour arriver à tisser des liens qui reposent non seulement sur la compréhension de notre intention, mais aussi de notre manière de créer. Chaque artiste est particulier. Ça n’est pas parce que l’on réussit à s’entendre avec l’un que l’entreprise s’entendra avec l’autre artiste. Mon travail est extrêmement complexe. Je ne cache rien. En plus les surfaces planes en poli miroir sont plus dures à réaliser que les surfaces courbes. Le moindre défaut de surface et de reflet se voit immédiatement. Je travaille avec des ateliers en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne et chaque atelier a ses spécificités, certains ne peuvent pas travailler au-delà de 3 m par exemple, c’est une question de place dans l’atelier et d’outils disponibles.

M F : Craint-on la mauvaise expérience ?

A L : C’est toujours possible. Mais je ne démarre jamais une œuvre monumentale sans avoir auparavant réalisé avec l’entreprise des sculptures plus petites. Mais attention, surtout pour l’Inox, le paramètre de la qualité de fabrication de la matière est aussi à prendre en compte. C’est un élément indépendant de l’entreprise ou de ma conception et c’est une source de stress importante. Durant des années le plus bel Inox venait du Japon. Ils y ont un process de fabrication qui donne lieu à un résultat extraordinaire… En France il y a Mecachim qui fait de belles choses mais sur des tôles fines, moins adaptées à la sculpture. Nous sommes donc limités par la qualité de la matière et par la capacité à pouvoir contrôler cette qualité puisque les plaques arrivent filmées. On ne peut pas enlever le film sur toutes les plaques de 6 x 3 m avant de travailler, ce serait coûteux comme contrôle.

M F : C’est un souci que vous n’avez pas avec l’autopatinable…

A L : Le Corten a aussi ses caprices. Mais il est vrai qu’une petite bosse ou une rayure peuvent se gommer sous l’effet de la corrosion et de la patine.

M F : Vous travaillez vous-même le métal ?

A L : Quand j’ai des besoins précis j’aime travailler avec les mains. Je sais donc travailler le métal, mais je n’ai pas de quoi faire des pièces de trois tonnes évidemment… Il est important de connaître les techniques de fabrication pour pouvoir dialoguer avec les ateliers qui fabriquent.

M F : L’impression 3 D est-elle une piste d’avenir pour votre activité ?

A L : J’y ai goûté il y a quinze ans déjà. J’ai testé cette technique pour la création. Or, faire une passerelle en impression 3D est possible mais pas rentable pour autant sans même parler de l’esthétique. Faire des œuvres monumentales avec l’impression 3D pose aussi la question de l’état de surface qui est très laid. À moins de s’en servir peut-être pour créer des formes impossibles à réaliser autrement.

M F : Quels sont vos projets en cours ?

A L : Le projet de l’Hermitage à Moscou est en attente. L’œuvre est réalisée et payée, elle attend de pouvoir être posée. Elle devait être installée avant la pandémie, maintenant c’est la guerre qui retarde la livraison. Nous venons d’installer une pièce de 13 m de long pour un collectionneur au Havre ainsi qu’une grande pièce pour l’aéroport de Bangalore en Inde. Mais les gros projets restent rares, la plupart de mes œuvres ne dépassent pas 5 m et sont destinées à des parcs publics ou des collectionneurs.

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