« Les chantiers signés avant la crise sont réalisés à perte »
Manque de matériaux, retards de livraison, augmentation des prix… La crise des matières premières est vécue au quotidien par les entreprises du bâtiment qui voient leur trésorerie fondre. Comment en est-on arrivé là, que faire et quelles sont les perspectives de sortie ? Éléments de réponses avec Loïc Chapeaux, directeur des Affaires économiques, financières et internationales de la Fédération Française du bâtiment (FFB).
Depuis des mois, les entreprises subissent la pénurie de matières premières. Pouvez-vous revenir sur ses causes ?
Loïc Chapeaux C’est une crise mondiale qui touche la construction mais aussi d’autres secteurs d’activité. En cause : la crise sanitaire, les arrêts de production et les contraintes de transport imposées par les multiples confinements et restrictions. De plus, la reprise s’est faite de manière désynchronisée selon les pays. Si la Chine puis les États-Unis sont repartis dès la fin 2020, cela ne fait que quelques mois que le contexte s’améliore en Europe et en France. Redémarrage des usines, transport, logistique… Toute la chaîne de fabrication est désorganisée et les volumes produits puis livrés sont faibles. Mais ce n’est pas tout. En plus de ces conditions inédites, des événements plus habituels ont encore aggravé la situation : le blizzard aux États-Unis en février dernier, des incendies dans les usines, des révisions indispensables des chaînes de production… Résultat, l’offre ne suit plus la demande créant de fait une situation de pénurie et mécaniquement, d’augmentation des prix.
Dans le bâtiment, quelles sont les filières les plus touchées ?
LC Aucune n’est véritablement épargnée. Le bois, l’acier, l’aluminium, les produits PVC, le plastique et ses dérivés souffrent particulièrement.
À combien évalue-t-on cette augmentation des prix ?
LC L’indice BT 01 qui mesure l’évolution du coût global (matériaux, transport, salaires…) pour les entreprises du secteur du bâtiment, tous marchés confondus, a augmenté de 4,3 % sur les sept premiers mois de l’année. C’est beaucoup. Certains indices plus spécifiques affichent des flambées encore plus spectaculaires. Par exemple, les produits en acier ont pris 25 % et ceux applicables à l’étanchéité des façades 8,8 %.
Quelles sont les conséquences pour les entreprises ?
LC Elles sont doubles. Tout d’abord, pour les marchés conclus à prix ferme avant la crise, la hausse du coût des matériels et matériaux ne peut être répercutée sur les contrats. L’indexation est en effet peu courante, en dehors des marchés publics ou, parfois, en maisons individuelles. Les coûts pour les entreprises augmentent donc considérablement et elles doivent souvent les assumer seules, sauf à engager des négociations avec les maîtrises d’ouvrage. Les compensations ne sont ni systématiques, ni intégrales. En clair, tous les chantiers signés avant la crise sont actuellement réalisés à perte. Or, ils sont fréquents aujourd’hui, notamment dans la construction neuve, car la Covid a fait prendre beaucoup de retard. Même si les carnets de commandes sont pleins, les entreprises se trouvent contraintes de puiser dans leur trésorerie dans l’immédiat et d’éroder leur marge à moyen terme. L’autre conséquence majeure, c’est l’allongement des délais de livraison, aléatoire et donc imprévisible. Au printemps dernier, il y a même eu rupture d’approvisionnement. Impossible donc de travailler et de respecter les plannings. En plus de désorganiser le chantier (particulièrement quand différents corps interviennent les uns après les autres), les entreprises s’exposent à des pénalités de retard qui pèsent encore un peu plus sur leur situation financière, alors même qu’elles n’y sont pour rien.
Comment s’en sortent-elles ?
LC Heureusement, elles n’ont pas souffert très longtemps des confinements successifs grâce à la parution rapide du guide de préconisations sanitaires de l’OPPBTP. De plus, la prise en charge de l’activité partielle par l’État ainsi que les prêts garantis par l’État (PGE) leur ont permis de conserver une certaine rentabilité. Il y a aujourd’hui peu de défaillances mais il faut rester vigilant. Le remboursement du PGE en 2022 pourrait fragiliser un peu plus certaines structures.
Des solutions sont-elles mises en place pour les soutenir ?
LC L’État a diffusé une circulaire demandant aux acheteurs de l’État de ne pas appliquer de pénalités de retard si ce dernier a pour cause la pénurie de matériaux. Une note du ministère de l’Économie encourage aussi les donneurs d’ordres publics à la négociation et à l’insertion systématique de clauses de variations de prix dans les contrats. Enfin, une médiation de filière a été mise en place pour traiter les comportements non solidaires de certains pouvant mettre en difficulté les entreprises et/ou les chantiers. Si ce dispositif a permis de faire avancer plusieurs dossiers, il ne remplace pas les mesures globales.
Quelles pourraient être ces mesures ?
LC La FFB a formulé deux demandes dans le cadre du Projet de loi de finances (PLF) pour 2022. La première est la prise en charge intégrale par l’État du coût de « La rentrée a fait naître quelques espoirs car les prix ont cessé de s’envoler. Mais depuis, le secteur subit, lui aussi, une nouvelle crise : celle de l’énergie. » L’activité partielle quand elle est imposée par une pénurie de matériaux. Cette dernière étant une conséquence de la crise sanitaire, nous considérons qu’elle doit être traitée dans ce cadre. Et en cas d’impossibilité de réaliser son chantier, une entreprise ne pourra pas payer à la fois les pénalités de retard et l’activité partielle.
La seconde, c’est de donner la possibilité à l’entreprise de mobiliser immédiatement une créance de carry back, qui permet d’imputer les déficits de l’exercice sur les bénéfices antérieurs et de constituer une créance d’impôt sur les sociétés égale à l’excédent versé antérieurement. Ce dispositif permet de garantir un minimum de trésorerie au moment où les entreprises en ont le plus besoin. En attendant les décisions gouvernementales, nous conseillons aux entreprises de faire jouer les clauses d’indexation dès que possible dans les négociations avec les maîtres d’ouvrage. Nous faisons également remonter les situations conflictuelles à la médiation de filière lorsque des pratiques pénalisantes sont constatées ou que des maîtres d’ouvrage refusent d’entamer toute discussion.
Peut-on espérer une fin prochaine de cette crise ?
LC La rentrée a fait naître quelques espoirs car les prix ont cessé de s’envoler. Mais depuis, le secteur subit, lui aussi, une nouvelle crise : celle de l’énergie. La production de matériaux de construction en consomme beaucoup, sans tarification réglementée ni bouclier quelconque. Les coûts de fabrication des matériels et matériaux de construction augmenteront donc à nouveau d’ici la fin de l’année et sans doute au-delà.