Faut-il s’engager dans la 3D ?
Les chiffres sont nets. En vingt ans, les entreprises de métallerie se sont renforcées sur le terrain de la CAO/DAO. Selon la dernière étude sectorielle publiée par l’Union des métalliers (Xerfi – décembre 2020) près de 40 % des entreprises du secteur disposent désormais au moins d’un logiciel de conception et de dessin par ordinateur. Ce chiffre atteint près de 70 % pour les entreprises de six à dix-neuf salariés et 88 % pour les plus de vingt salariés. Sont principalement équipées les sociétés qui ont à fabriquer des ouvrages, cela va de soi. Les structures de moins de cinq salariés sont quant à eux aux alentours de 32 % à être équipés. Une serrurerie de ville, par exemple, qui fait essentiellement de la maintenance et de la pose de menuiseries n’aura pas une grande utilité de ce type d’outils. Toujours selon l’étude Xerfi, 40 % de ceux qui sont équipés, « travaillent indifféremment en 2D ou en 3D en fonction des chantiers ». Le passage de l’un à l’autre induit cependant un changement assez radical dans la manière de voir non seulement la conception des ouvrages, mais le métier en lui-même. La 2D est encore largement dominante, or la 3D s’inscrit dans une démarche bien plus globale. « On ne dessine plus, on conçoit » dit-on chez l’éditeur TopSolid. Indépendamment du BIM qui tarde encore à se généraliser et qui devrait booster la 3D, ces outils sont une manière d’inscrire le travail du métallier dans un environnement plus complexe et de visualiser les interférences avec d’autres corps de métiers, par exemple. Certaines technologies de mesure, à l’image des scanners 3D peuvent être d’indiscutables accélérateurs pour migrer d’une vision 2D vers la 3D.
Communiquer et gagner du temps
Outre la conception des ouvrages et la réalisation des plans de fabrication, les logiciels de CAO/DAO 3D (SolidWorks, TopSolid, MetalCad, Tekla, AutoCad…) permettent d’échanger des données et de créer des maquettes numériques. Selon Louis Richard « les différents ouvrages que nous concevons dans le secteur naval, par exemple, s’effectuent à partir de maquettes numériques. Nous les réalisons sans avoir à attendre qu’un paquebot soit construit pour relever les côtes ». Le résultat est que le temps pour réaliser l’un de ces géants des mers est de 18 à 24 mois maximum. « Il est évident que sans ces échanges de données en 3D, nous ne serions pas aussi performants en termes de délais ». Justement, pour Alexandre Chefdeville, « intégrer la 3D dans l’entreprise doit permettre de gagner du temps à tous les niveaux tout en veillant à supprimer les sources d’erreurs au moment de la pose ». Laetitia Fermen abonde dans ce sens : « Clairement, l’apport de la 3D permet aux équipes de chantier d’appréhender plus facilement le montage à effectuer sur site ». De fait, partager une maquette numérique devient un atout. Pour Jean-Yves Vétil, « partager une maquette numérique est nécessaire pour faire travailler en mode collaboratif tous les services du chiffrage jusqu’au montage. Ça n’est ni plus ni moins que les prémices du BIM. Il faut voir le BIM de façon globale. Le partage d’une maquette numérique sur une plateforme collaborative comme Trimble, par exemple, est en plein développement ». En revanche, faire collaborer différents corps d’état dans une optique BIM, c’est une autre paire de manches.
© CMR /© Chefdeville
Un exemple d'ouvrage réalisé à partir d'un logiciel 3D par la métallerie CMR.
De la maquette 3D au BIM
Sur ce dernier point, force est de constater que la situation n’a pas beaucoup évolué au cours des dernières années. Le BIM a fait grand bruit, mais tarde encore à se généraliser dans la construction. À ce propos, les réactions sont sans équivoque. Ainsi pour Alexandre Chefdeville, « on nous a vendu la 3D avec le BIM… avec du recul, c’est utile pour les électriciens et les plombiers afin qu’ils visualisent les réservations pour les passages des tuyaux et des câbles… mais pour les ouvrages de métallerie tels que les escaliers ou les garde-corps, l’enjeu n’est pas encore à la hauteur de l’investissement ». Louis Richard va plus loin dans l’analyse et reconnaît que « Le BIM s’inscrit dans le sens de l’histoire et bénéficie de belles évolutions, il en est encore en phase de démarrage ». Il constate que « bien souvent le problème vient de la maîtrise d’œuvre ». Des propos confirmés par Laetitia Fermen, qui enfonce le clou « nous sommes loin d’être dans du BIM. Les dossiers d’appel d’offres intègrent bien du BIM, mais après, il n’y a plus rien qui se fait… ».
Visualiser le résultat en amont
Un atout déterminant reste cependant la visualisation. Si les logiciels 3D n’offrent pas tous une même qualité de rendu réaliste, ils permettent d’appliquer diverses textures et d’intégrer un projet dans son futur environnement. Un point qui fait l’objet d’une forte demande comme l’explique Marion Girard « présenter un projet 3D en situation permet au client final de se projeter ». Ce que confirme Alexandre Chefdeville : « la visualisation 3D facilite la vente d’un projet au client, ce qui est déjà beaucoup ». Pour Laetitia Fermen : « nos interlocuteurs ne savent pas tous lire des plans. La 3D leur permet de visualiser plus facilement un projet ».
Choisir un logiciel en fonction de ses besoins
De la petite structure aux entreprises les plus importantes, les besoins en CAO/DAO différent. Pour Marion Girard, « il existe deux typologies de métalliers. Entre celui qui travaille uniquement avec les particuliers et celui qui se destine exclusivement aux chantiers publics, les besoins logiciels ne sont pas du tout les mêmes ». Pour Alexandre Chefdeville, « Au-delà de la 3D, nous avons besoin de fonctionnalités comme la mise en plan, la création de fiches de nomenclatures… ». Afin de concevoir différents projets, nombre d’entreprises multiplient les solutions. À l’image de Laetitia Fermen « nous utilisons Tekla pour la charpente métallique, Advance Steel pour la métallerie et les ouvrages plus fins et bien sûr Autocad… Pour les chantiers de particuliers, nous utilisons depuis peu MetalCad qui est intéressant pour un premier jet ». De son côté Louis Richard a fait le choix d’une solution issue de la mécanique jugée plus précise. « Nos concepteurs utilisent aussi bien AutoCad pour des ouvrages simples que SolidWorks pour ceux qui sont en forme, en courbes ».
Un investissement somme tout accessible
Entre calcul et rendu 3D, pour faire tourner ces logiciels, il est nécessaire d’équiper un PC de mémoire et d’une bonne carte graphique. Cependant, entre l’acquisition du poste informatique et des licences, le budget peut paraître conséquent. Pour Alexandre Chefdeville, « entre la licence et le matériel, les coûts s’élèvent à 10 000 euros environ ». De son côté Laetita Fermen constate que « l’investissement matériel et logiciel reste abordable. Entre 6 000 et 8 000 € (pour une solution type Advance Steel) ». Il convient d’ajouter les dépenses liées au temps d’apprentissage du ou des logiciels.
© Kozac /© DR
Peut-on imaginer un ouvrage tel que l'escalier du Pôle média de LVMH sans CAO 3D ?
Se former pour maîtriser les logiciels
En effet, utiliser ces derniers ne se fait pas en deux temps trois mouvements. C’est pourquoi les éditeurs de logiciels proposent diverses formations allant de la prise en main à des modules plus spécifiques. Toutefois comme le souligne Laetitia Fermen, « pour être complètement opérationnel et maîtriser toutes les possibilités des logiciels que nous utilisons, il faut compter entre 12 et 18 mois ». En parallèle, pour parfaire leurs connaissances, nombre de concepteurs n’hésitent pas à suivre les tutos publiés sur le Net.
Croquis, schémas toujours d’actualité
Pour autant, ces outils ne font pas tout. Chez Louis Richard « la phase de conception s’effectue encore avec des croquis à main levée. C’est une étape incontournable pour savoir où l’on va ». Des Propos confirmés par Laetitia Fermen : « nous établissons toujours des croquis faits à la main. Ce n’est qu’une fois le projet validé, que nous passons en CAO ». Que ce soit pour piloter une machine numérique ou collaborer à un projet via une maquette numérique, ces logiciels sont devenus incontournables. En revanche, ils doivent répondre aux besoins spécifiques de l’entreprise et communiquer sans occasionner de pertes de données. Une interopérabilité essentielle pour qui veut travailler en BIM. Le mot de la fin revient à Louis Richard avec ce parallèle amusant : « la CAO/DAO en mode 3D pour un concepteur c’est un peu comme un traitement de texte pour un écrivain. Le logiciel va aider à mettre en forme et à corriger l’écriture, mais il ne donnera pas les idées ».
De la maquette numérique au BIM
Maquette numérique ou BIM, l’amalgame est facile à faire. La maquette numérique est un outil de travail permettant de concevoir un ouvrage sur une construction virtuelle. De son côté, Le BIM est un process de travail qui s’appuie sur la maquette numérique préalablement partagée entre les différents intervenants via des fichiers au format ifc.
Des formations à financer
Qu’elles soient certifiantes, diplômantes ou non, les formations dispensées par les éditeurs de logiciel ne sont pas gratuites. Pour répondre à tous les cas de figure, leur prise en charge peut s’effectuer tout ou partie via :
Les actions nationales ou les programmes spécifiques des OPCO,
Le plan de développement des compétences,
Le compte formation (CPF).
Alexandre Chefdeville – Chefdeville Métallerie à Honfleur (14)
De formation mécanicien en sport automobile, Alexandre Chefdeville a intégré il y a treize ans l’entreprise familiale Chefdeville Métallerie. Autodidacte, c’est sous son impulsion que le virage de la CAO/DAO 3D a été pris. Une modernisation qu’il juge aujourd’hui indispensable.
Laetitia Fermen – Nouvelle Métallerie de Kerpont à Lanester (56)
Issue d’une formation en génie mécanique, Laetita Fermen est dirigeante de « La Nouvelle Métallerie de Kerpont » suite à une reprise il y a quatre ans. Elle a été notamment dessinatrice Tekla. Équiper sa société de logiciels 3D pour développer son activité était pour elle une évidence.
Louis Richard – CMR à La Chapelle Heulin (44)
P.-D.G. de l’entreprise familiale depuis 1987, Louis Richard a structuré l’entreprise pour se consacrer à la gestion de projets notamment pour le secteur naval. Pour mener à bien ces derniers, il a opté pour SolidWorks, logiciel généraliste bien connu des ingénieurs issus de la filière mécanique.
Marion Girard – Média Softs à Vigneux-de-Bretagne (44)
Commerciale de formation, Marion Girard a intégré l’équipe de MédiaSofts il y a onze ans. Depuis près de trente ans, cet éditeur de logiciels, partenaire de l’Union des métalliers, basé à Nantes, développe, via les outils de Métalusoft des solutions dédiées aux entreprises de métallerie.
Julien Poirot – TopSolid à Évry (91)
Après une expérience en conception de machines spéciales, Julien Poirot devient responsable produit adjoint chez ce partenaire de l’Union des métalliers. TopSolid’Steel, est un logiciel généraliste qui intègre des fonctionnalités spécifiques au monde de la métallerie.
Jean-Yves Vétil – Tekla à Terssac (81)
Jean-Yves Vétil, directeur commercial de ce partenaire de l’Union des métalliers a administré une association de promotion du BIM. Tekla est un logiciel de modélisation 3D et d’exécution pour les structures et ouvrages métalliques. Il est associé à la plateforme collaborative Trimble connect.