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L’architecte Valérie Décot est une des figures de proue du réemploi des matériaux dans la construction. Au-delà de l’écologie, il est question de bon sens.

Les églises ont été reconstruites, changées ou agrandies à partir du bâtiment précédent. Le bon sens prévalait. La révolution industrielle a donné un premier coup d’arrêt à cette règle ancestrale avec l’arrivée de nouveaux matériaux, dont l’acier et la fonte. L’après-guerre et les trente glorieuses ont glorifié la modernité qui suppose que l’on parte d’une feuille blanche, que l’on construise avec des matériaux modernes en faisant tabula rasa du passé. Résultat : le BTP est aujourd’hui le plus gros producteur de déchets. En France cela représente 227 millions de tonnes soit 70 % du volume total de déchets produits. Outre les déchets qui finissent enfouis ou jetés dans la nature, il y a les consommations importantes d’énergie et de ressources naturelles. La donne a changé. Même si les métalliers ne se sentent pas ou peu concernés, la question du réemploi les impliquera tôt ou tard. Comme le résume le métallier Alain Quenel, « le réemploi a une image de maladie honteuse, ça fait radin. Or, il doit y avoir un moyen de rendre cette démarche sympathique, en y accolant le sens, l’éthique et l’univers de valeurs qui vont avec ». C’est avec lui que nous avons rencontré Valérie Décot, à Marseille.

Métal Flash : Qu’est-ce qui a motivé votre engagement pour le réemploi ?

Valérie Décot : En 2010 à la Biennale de Venise, l’agence Rotor lauréate du pavillon de Belgique, avait exposé comme des œuvres d’art des matériaux déconstruits. Il y avait là des morceaux de moquette, des panneaux de parement et même des rampes d’escalier. C’était une belle mise en valeur de ce qui est considéré comme un déchet. Ça a été un choc pour moi et une vraie prise de conscience. En effet, quelle aberration que d’enfouir de la pierre taillée ou tout autre ouvrage qui peut encore être réutilisé !

M.F. : Comment procédez-vous pour mettre en relation « déconstructeurs et constructeurs » ?

V. D. : Nous avons créé, dans le cadre de l’appel à projet financé en partie par la région Sud et l’Ademe, une plateforme digitale qui répertorie les ouvrages et les matériaux disponibles (www.plateforme.raedificare.com). Nous réalisons l’audit avant démolition, le but étant de réutiliser ces produits le plus près possible de la construction neuve, idéalement sur le même site. Cette plateforme permet également à d’autres acteurs professionnels, de créer un compte pour y déposer des matériaux en recherche d’une deuxième vie.

M. F. : Quels sont les matériaux les plus concernés ?

V.D. : De la maçonnerie comme les briques pleines, des pierres taillées et de parement, des panneaux de bardage, des tuiles, des portes intérieures, des cloisons, des équipements sanitaires, électriques… Pour les charpentes métalliques il est préférable de caractériser précisément le gisement, trouver trace de l’alliage car cela facilite la préconisation sur de nouveaux projets. Mais attention, l’intérêt est de reconstruire en tenant compte de la matière existante. On cherche à éviter, dans le cas des charpentes par exemple, d’avoir à les couper, les percer et les souder. C’est là qu’il y a le bouleversement profond : arriver à construire avec ce que l’on a sous la main.

M. F. : Quels sont les principaux freins ?

V. D. : Ils sont multiples. À commencer par le coût de la main-d’œuvre qui est supérieur à celui de la matière. Déconstruire avec l’idée de réutiliser suppose un soin et des procédures plus longues que s’il s’agit de tout envoyer en déchetterie. Or c’est au maître d’ouvrage qui souhaite utiliser à nouveau la charpente de payer ce démontage. Sur le Bon Coin il existe déjà des hangars à vendre sur pied, l’acheteur démonte et remonte chez lui. C’est déjà une ébauche de ce vers quoi nous voulons aller. Les assureurs aussi pourraient freiner. Il y a un travail au préalable à faire avec l’entreprise pour savoir si sa police d’assurance couvre ou pas tel ou tel cas. Il y a un travail de pédagogie à lancer pour rassurer. Nombre d’industriels et leurs syndicats professionnels nous voient comme une menace. Ils préfèrent promouvoir le recyclage alors que leurs produits sont souvent encore parfaitement réutilisables. Enfin, il y a les entreprises qui ne sont pas encore habituées à devoir intégrer des ouvrages anciens dans leurs propres réalisations. C’est une question de temps et de pédagogie. Quand le maître d’ouvrage exigera une part de réemploi, ces entreprises n’auront pas d’autre choix que de s’y adapter.

M.F. : Quelle serait la priorité aujourd’hui pour accélérer cette démarche ?

V.D. : Pour la métallerie et la charpente métallique il faut impérativement trouver des moyens de gagner du temps et de l’argent sur le démontage. Il y a une ingénierie du démontage à mettre au point. Sans doute qu’il y aurait un enseignement dans les écoles d’ingénieurs à promouvoir afin de créer des vocations chez les jeunes. Polytech Marseille m’a demandé de faire un cours sur le sujet. C’est peut-être le début d’un cycle déterminant pour le bâtiment qui se met en place.