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Ils sont partout dans les centres des grandes villes. Pourtant le métier de serrurier de ville est méconnu. Souvent confondus avec les dépanneurs à l’image trouble ou les échoppes de Clé Minute, les serruriers de ville gagneraient à travailler leur image. Leur activité est d’une grande richesse et l’avenir ne semble pas s’assombrir pour eux.

C’est logique : la serrurerie de ville suppose qu’il y ait une densité urbaine. L’expression ne vaut pas pour les campagnes, les villages, voire les villes moyennes. Les « serruriers », y sont généralement aussi métalliers, menuisiers aluminium, voire storistes et « clôturistes ». Il y a donc une typologie d’entreprises bien particulière et aujourd’hui distincte de celle des métalliers. Historiquement pourtant, serruriers des villes et « serruriers des champs » étaient plus que cousins, ils étaient jumeaux. À l’époque où Paris comptait encore des usines dans son centre, les serruriers y avaient des ateliers avec des forges, des martinets et tout le matériel de fabrication nécessaire pour réaliser leurs ouvrages. Un petit tour chez Grimaud, à quelques pas du cimetière du Père Lachaise dans le 20e arrondissement, permet de comprendre comment travaillaient les serruriers il y a encore quelques années. « Je me considère comme métallier car j’ai encore un atelier de production bien que je sois aussi serrurier de ville », explique José Miranda,
dirigeant de Grimaud. La bascule de la fabrication vers la pose de produits industriels s’est opérée durant les trente dernières années. Dans toutes les grandes villes de France la pression immobilière a été telle que les ateliers ont été vendus ou, pour certains, déplacés en banlieue. À Paris, l’entreprise Nouzillet possédait dans le 16e arrondissement depuis cinq générations un atelier de 300 m2… Inimaginable aujourd’hui.

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Alain Selex, Pasme 2

Que font-ils exactement ?

S’il ne fabrique plus rien, ou presque, le serrurier de ville (le nombre d’entreprises est estimé entre 4 000 et 5 000 en France) n’en a pas moins élargi sa palette d’intervention. Un temps l’activité était portée sur le blindage de portes existantes à l’aide de tôles et de cornières. ça n’est plus d’actualité. Les bloc-porte blindés fabriqués en usine ont pris une place déterminante sur le marché. Norbert Tordjman, lui-même ancien serrurier de ville, a bâti son succès sur cette mutation du métier de la fabrication vers l’installation de portes prêtes-à-poser. On ne fait pas de la copie de clés, c’est, depuis l’avènement des clés brevetées, l’affaire des Clés minute. Autre volet majeur du métier : l’entretien et la maintenance. Ce que les anciens appellent encore la « popote » se résume par « petits travaux ». Dans une ville cela peut vite constituer un gros volant d’activité et comprend la pose de boîtes aux lettres, le réglage et la pose de ferme-portes comme de pivots, le remplacement de serrures, l’installation de contrôle d’accès, la vente et, pour les plus doués, l’ouverture de coffres-forts. La clientèle est largement constituée de particuliers, viennent ensuite les syndics de copropriété, les entreprises et les commerces. Or, si la nature des travaux a changé, c’est surtout l’approche service qui a bouleversé cette profession. « Les facteurs déterminants reposent désormais sur la réactivité et la proximité. Le serrurier de quartier est aussi important qu’un dentiste ou un épicier », commente Franck Peyron, directeur du réseau Les Serruriers Agréés l’Expert Vachette. La demande de service et de réactivité a augmenté avec Internet qui a installé le réflexe du « tout tout de suite ».

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Le casse-tête de la formation

Il n’existe pas de formation initiale pour être serrurier de ville. « J’ai un CAP de serrurier-métallier qui ne me sert pas beaucoup dans mon métier », remarque Alain Selex, dirigeant de Pasme 2 à Paris. « Ce métier s’apprend un peu chez les fabricants, beaucoup par transmission en interne et fondamentalement par la pratique sur le terrain ». Mais alors comment et sur quelle base peut-on recruter ? « J’embauche des personnes avec 10 à 20 % de connaissance technique. Le reste c’est de l’intelligence, du savoir-être et de la motivation. Nous cherchons des individus curieux et débrouillards, qui soient rassurants vis-à-vis des clients », poursuit Alain Selex. Outre les fabricants qui peuvent former sur leurs gammes de produits, il existe des formations payantes de bon niveau. C’est le cas de Madelin SA à Les Ponts-de-Cé (49) qui propose des formations pour débutants comme pour les serruriers expérimentés. Près d’une vingtaine de stages différents (dont le crochetage de cylindre de sécurité…) témoignent de l’extrême richesse de ce métier dont la palette de connaissances théoriques et pratiques n’a rien à envier à celle des métalliers.

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Pyc
José Miranda, Grimaud / Bernard Darmon, mesclefs.com

Le préjudice des « dépanneurs casseurs »

Il est difficile de passer sous silence la question des « dépanneurs » malhonnêtes. Ils font partie du marché et en sont la principale épine. De quoi parle-t-on ? « Moins d’un Français sur deux à une image positive du serrurier de ville. La cause ? Ils sont associés aux serruriers qui accompagnent les huissiers et les gendarmes pour déloger des familles pauvres ou alors aux dépanneurs escrocs », martèle Franck Peyron. Les cas sont nombreux de particuliers qui, après une tentative d’effraction, appellent en urgence le premier « serrurier » qui apparaît sur Google et se retrouvent avec une facture de 1 000 à 1 500 euros pour une ouverture de porte… sans remplacement de serrure. Ces profils sans scrupule profitent d’internet pour damer le pion aux serruriers honnêtes car ils sont extrêmement agiles pour faire remonter leur numéro d’urgence en première page du moteur de recherche. En guise de parade, il y a les étoiles et les commentaires, le rating, que les clients peuvent laisser sur les sites spécialisés. Autre moyen de lutte, la communication. Il y a en effet un sérieux travail d’image à mettre en place.

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Pyc
Le nombre de serruriers de ville en France est estimé entre 4 et 5 000 entreprises. / La commande électronique au sens large va gagner du terrain.

L’offensive des réseaux

Les réseaux de fabricants (Vachette, Points Forts Fichet, Bricard…) tentent, en soignant leur image de marque et en sélectionnant plus ou moins rigoureusement les entreprises adhérentes, de changer l’image du serrurier. « Les brevets de certaines serrures sont tombés dans le domaine public. De fait, les produits équivalents sont fabriqués dans des pays
à bas coûts de main-d’œuvre avec une qualité moindre. L’image d’une profession passe aussi par la qualité des produits mis en œuvre. Nous devons collectivement agir pour un meilleur service avec la pose de solutions techniques fiables et durables », insiste Cyril Heydmann, responsable de la serrurerie chez OCC.
La création par Bernard Darmon dirigeant du site mesclefs.com du réseau Les Serruriers de France vise à répondre à cette attente en terme que qualité d’image. « Il s’agit d’un réseau de serruriers indépendants sans lien avec un fabricant. Nous avons vérifié pour les 200 adhérents actuels qu’il s’agit bien d’une société, qu’elle est en règle sur le plan fiscal, qu’il y a bien un magasin et ou un atelier, nous vérifions les réseaux auxquels cette entreprise est déjà liée, etc. » La cotisation est de 30 euros par mois et Bernard Darmon se défend de vouloir « gagner de l’argent ». « Nous faisons œuvre de salubrité pour la profession de serrurier ». Dans un autre registre il y a des plateformes qui sélectionnent des artisans ayant pignon sur rue et qui affichent leurs tarifs. C’est le cas de 1artisan.pro qui vient de se lancer avec l’ambition de constituer un annuaire type Pages Jaunes visant les artisans du BTP tous corps de métiers, dont les serruriers. « Nous appliquons la loi de janvier 2017 relative à la publicité sur les prix des dépannages », assure Maxime Dubas un des coauteurs du site. La transparence et la communication devraient permettre d’assainir le marché du dépannage. Cela n’empêche pas, dès à présent, le client particulier à s’informer avant de se précipiter sur le premier margoulin venu…

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Franck Peyron, Vachette

Quel avenir pour la serrurerie de ville ?

Face au développement des réseaux et des plates-formes Internet sans oublier les technologies numériques qui prennent la place des anciennes serrures, peut-on encore miser sur ce vieux métier de serrurier de ville ? « Avec de la compétence, de la réactivité et le sens du service, il y a encore des années de travail pour un jeune qui démarre », assure José Miranda.
La serrure connectée, celle qui s’ouvre à distance avec un smartphone, faut-il en avoir peur ? Assa Abloy y voit le « virage à ne pas manquer au risque de finir comme Kodak… », donc il y aurait un raz-de-marée dans un proche avenir. Les professionnels du terrain sont bien plus prudents. « On avait dit la même chose pour la domotique il y a 30 ans, on connaît la suite. Les clients voudront toujours avoir un jeu de clés. Qu’il y ait pour les personnes âgées des contrôles d’accès à distance, de la biométrie et toutes sortes d’innovations c’est déjà une réalité. Il reste encore un bel avenir à la serrure mécanique », déclare Alain Selex. Cyril Heidmann est certain que le smartphone va remplacer une partie des traditionnels trousseaux de clés. « Mais quand on voit avec quelle facilité les hackers entrent dans des réseaux blindés de protections, il n’y a pas de doute qu’une nouvelle catégorie de cambrioleurs aura vite fait de cloner la fréquence qui ouvre toutes vos portes ». Rien ne vaudrait donc ce doux bruit du pêne verrouillant actionné par une clé ?

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Ferco sas
La malveillance de quelques dépanneurs nuit à toute la profession. / Le métier s’apprend par la pratique, à condition d’avoir quelques prédispositions pour la mécanique

Recruter autrement, via le sport

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Pyc
Salima Merazga, présidente de Job Odyssée 2.0

Job Odyssée 2.0 est une association dont la vocation est de favoriser l’accès à l’emploi de jeunes des quartiers dits « difficiles ». Sa méthodologie est originale. « Nous misons sur les valeurs sportives afin de présélectionner des candidats potentiels à présenter aux employeurs qui font appel à nous », explique Salima Merazga, présidente. Plus exactement l’association vise les clubs de boxe. La raison ? « Les jeunes y ont nécessairement le respect du coach et de la ponctualité ce qui est un bon prérequis ». Le foot ne fait pas partie des sports que l’association privilégie, une question de valeurs… Après la RATP et Carglass, c’est la Chambre professionnelle de métallerie et serrurerie du Grand Paris qui a fait appel à Job Odyssée 2.0. Le but est d’arriver à attirer vers le métier de serrurier de ville des jeunes sans emploi qui, après sélection notamment sur les valeurs de « savoir être », suivront une formation diplômante.

La serrurerie de ville lui a ouvert la voie

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Cyril Heidmann

Cyril Heidmann, 44 ans, a déjà trente ans de métier. Il est aujourd’hui en charge de l’activité serrurerie chez OCC à Carrières-sur-Seine (78). « À 14 ans j’étais dans une voie de garage, je n’aimais pas l’école, j’aurais pu mal tourner. Un jour j’ai séché l’école pour chercher un copain qui travaillait dans une petite serrurerie de ville à Paris. Le patron, sans me connaître m’a donné les clés de sa boutique alors qu’il devait partir sur un chantier. Pour la première fois de ma vie on m’a fait confiance. J’ai eu les clés des clés ! Le lendemain j’ai à nouveau séché l’école pour y retourner. Je n’ai pas lâché ce professionnel jusqu’à mes 16 ans. J’ai eu le sentiment d’être reconnu et, depuis ce jour, je suis dans ce métier que j’adore.

« Foncer quand il y a une vibration »

Un conseil aux jeunes ? Il faut suivre ses aspirations. Sentir l’envie que l’on a en soi, foncer quand il y a une vibration. La serrurerie est une valeur sûre. Mon fils de onze ans a déjà crocheté un coffre. Démonter une serrure, comprendre comment ça marche est un vrai plaisir. Réussir à ouvrir un coffre après des heures de travail c’est énorme comme sensation. C’est presque irréel quand c’est bien fait. »

Vers un choc de la clé connectée ?

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JPM

Il n’est plus question de domotique mais de maison connectée. L’enjeu est considérable pour les fabricants de serrures, aucun ne s’imagine rester à l’écart de ce qui est annoncé comme le tournant historique de la profession. Le passage de la sacro-sainte mécanique à la digitalisation changerait solidement la donne chez les serruriers de ville. Ils doivent évidemment se tenir au courant des évolutions techniques. Alors qu’ils savent globalement comment fonctionne une box qui commande les volets roulants, seront-ils capables de répondre dans un délai court à un bug informatique qui empêche une porte d’entrée de s’ouvrir ? C’est un autre métier qui s’annonce. Dans le fond, la question est de savoir jusqu’où le client final est-il prêt à aller dans la dématérialisation ? Le bon sens voudrait que les fabricants ne mettent pas tous leurs œufs dans le panier digital…